Jersey, 20 novembre 1854, lundi soir, 5 h. ¼
Il est bientôt temps, mon cher petit homme, que tu fassesa luire un peu de joie sur cette sombre et maussade journée, qui pèse sur ma pauvre cervelle comme un morceau de plomb et qui déteint sur mon âme en noir et en gris. Voilà quatre jours pleins que je suis en proie au mal de tête sans aucune trêve que les rares moments que tu me donnes et qu’il me faut partager encore avec le bonhomme Durand ou disputer à ton travail. Tout cela me rend grognon et presque triste car je voudrais pouvoir me passer de bonheur afin de te laisser entièrement libre ; mais j’ai beau m’exercer à cette ennuyeuseb vie tous les jours je ne peux pas parvenir à m’y habituer assez complètement pour te laisser tranquille. Aussi je te désire de tous les sens à la fois tant mes yeux, mes lèvres, mes oreilles, mon âme et mon cœur ont besoin de toi. Cela m’est d’autant plus nécessaire qu’il m’est impossible de copire avec ma pauvre tête malade. Cet empêchement douloureux est pour moi comme une double absence de ta personne et de ta pensée c’est à dire presque la mort moins la douceur du repos éternel. C’est bête comme tout ce que je te dis là [1], absolument comme l’est un lingot d’or brut mon amour au creuset de Dieu est bien pur de tout alliage mais il aurait besoin pour toi d’être ciselé par un pur esprit.
Justement te voilà. Quel bonheur !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 390-391
Transcription de Chantal Brière
a) « fasse ».
b) « ennuieuse ».