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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 28 août 1854, lundi soir

Je t’écris à la fin de la journée, mon cher petit homme, bien que je sois levée depuis six heures et demie du matin, mais le raccommodage de ton paletot a pris le meilleur et le plus beau du jour, si tant est qu’il y ait pour moi du beau jour quand tu n’es pas sur mon horizon. Du reste, mon cher adoré, tu auras eu, je l’espère, très beau temps de ton côté et par conséquent bonne traversée et belle promenade à Serk. Cette sécurité n’est pas de trop pour me faire prendre ton absence avec courage et avec patience. Si tu savais combien j’ai le cœur triste dès que tu n’es plus là, tu ne pourrais jamais prendre sur ta conscience de t’éloigner de moi. J’espère, car ma vie se passe à espérer toutes sortes de bonheurs qui n’arrivent pas, j’espère, dis-je, que tu reviendras ce soir. Justement voici ta femme en grande toilette qui va avec Vacquerie au devant de toi probablement. Je compare cette splendeur d’uniforme avec ma livrée de souillon et l’avantage n’est pas pour moi, hélas ! Il est vrai que pendant que je fais un peu la besogne de tout le monde je néglige de faire la mienne, ce dont la vertu ne me tient pas grand compte si j’en juge d’après mon bonheur. Allons bien voici les larmes qui m’étouffent, ce qui ne va pas beaucoup m’embellir. J’ai eu tort de commencer ce gribouillis, j’aurais dû m’en tenir à mes occupations de ravaudeuse et de maritorne et ne pas [mot oublié ?], j’y suis plus experte qu’au beau style et je peux y conserver plus de sang froid.
Mon Victor, je suis absurde, laide, triste, vieille, sale et méchante et je t’aime, c’est plus qu’il n’en faut pour te dégoûter. Aussi je te le permets et ne te demande pas autre chose que la permission d’aller mourir ailleurs.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 271-272
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin, Blewer]

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