21 mai [1838], lundi matin, 10 h.
J’ai eu confiance en vous cette nuit, mon petit homme, et cependant ni Toto, ni lettre. Je ne vois rien venir. Je suis bien triste. C’était le cas ou jamais d’être exact à tenir vos promesses, mon adoré. Enfin peut-être que ce n’est qu’un retard, mais en amour le temps perdu ne se retrouve jamais, vous le savez aussi bien que moi, et si ce n’était le souvenir de notre petit festin d’hier au soir, je me croirais la plus oubliée et la [plus] délaissée des femmes. J’ai rêvé de vous toute la nuit, mon petit homme ainsi que je le fais toutes les nuits, je vous aimais de toute mon âme comme je vous aime encore à présent. La veille ni le sommeil ne change rien à mon amour, seulement c’est toujours dans le moment présent que je crois que je vous aime le plus. Pourquoi donc que tu n’es pas venu cette nuit, mon bien-aimé ? J’aurais été si heureuse de passer la nuit de ma fête [1] dans tes bras, d’avoir ton haleine plus parfumée et plus pure qu’un bouquet à respirer, que c’est bien mal à toi de m’avoir fait banqueroute de cette nuit qui aurait été si ravissante et si bien employéea. Au lieu de cela je suis triste et désappointéeb et je ne vous écris qu’une petite lettre. Toto n’est pas i mais je l’aime mieux que jamais et je l’attends avec toutes sortes d’amour sur les lèvres.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16334, f. 176-177
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette
a) « emploiée ».
b) « désapointée ».
21 mai [1838], lundi après midi, 2 h.
C’est bien vrai, mon adoré, que je suis une vieille méchante et une bête et que tu es trop bon de m’aimer ainsi. Mais l’impatience c’est comme la jalousie, cela rend injuste et stupide. Depuis ce matin, mon adoré, je comptais les minutes en attendant ta chère petite lettre et à chacune d’elles qui s’écoulait sans rien m’apporter, je t’accusais d’oubli et d’indifférence. Pardonne-moi mon Toto de t’aimer trop. Oui certes, je me contente de l’amour. Je ne changerais pas la part que tu m’as donnée pour toutes les richesses de la terre et du ciel. Un regard de toi brille plus à mes yeux que toutes les pierres précieuses du monde, un mot de ta bouche me rend plus fière que tous les [titres ?] et que toutes les couronnes du monde, ton haleine me parfume plus que tous les parfums de la terre, un baiser de toi m’ouvre le ciel. Si je n’ai pas comme toi, mon bien-aimé, la force et la beauté, le génie et la poésie, j’ai l’amour le plus vrai et le plus entier. Je suis toute à toi et toujours je ne pense qu’à toi, je ne vis qu’en toi. Ton bonheur c’est ma joie, tes rêves sont mes songes et tes larmes mes pleurs [2]. Je consens à n’avoir qu’un visage à nous deux pourvu que ce soit le tien qui me serve ; je ne suis déjà pas si bête comme vous voyez.
J’ai baisé toutes les lettres de tous les mots adorables de ton écriture bien aimée. Je n’essayerai pas de te dire mon ravissement en lisant ta chère petite lettre et tes admirables beaux vers. Je n’ai pas envie d’effeuiller la belle fleur d’adoration qu’ils ont fait éclore dans mon âme pour t’en montrer les pétales une à une. Je t’aime. Avec ce mot là tu vois tout, tu devines tout ce qui se passe dans mon cœur. C’est un miroir fidèle et qui reproduit mieux que des mots les sentiments tendres et passionnés qui dansent et qui chantent de joie à ta vue. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16334, f. 178-179
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Massin]