Paris, 5 juillet [1880], lundi matin, 6 h.
Cher bien-aimé, je t’ai laissé en bonne disposition de sommeil, ce qui me réconforte peu de mon insomnie carabinée de douleurs insupportables. En désespoir de cause, je suis venue me réfugier ici pour faire diversion, si c’est possible, à mon mal cuisant et irritant. Et je commence ma journée par ma chère restitus, trop souvent désheurée. J’espère que cet ordre… moral continuera au moins jusqu’à ce soir et que rien n’entravera la marche régulière de mon amour. Je viens de m’assurer à nouveau de l’ordre du jour de la séance au Sénat ; c’est bien à deux heures qu’elle s’ouvrira pour débagouler [1] en public toutes sortes de projets de lois et d’emprunts départementaux et communaux. Il est vrai que ces sommaires, bénins en apparencea, cachent souvent des chausses-trappes très périlleuses pour le pays et très difficiles à contourner même avec l’aide de la chambre… inférieure ? C’est ce que nous saurons ce soir après la séance de la chambre des députés. En attendant je relis ton grandiose petit discours [2] qui a déjà pris rang dans tes chefs-d’œuvre constellations. J’ai quelque honte de te dire si mal les choses que je sens si bien mais je ne saurais m’en empêcher car je t’admire et je t’adore de toute mon âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 179
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin
a) « apparences ».