Paris, 14 juillet [1880], mercredi matin, 10 h.
Cher bien-aimé, j’ai le cœur tout en fête pour toi et pour la République [1] dont tu es le plus glorieux représentant. Il me semble que tout le monde aujourd’hui t’apporte le tribut de reconnaissance, de vénération, d’admiration et d’adoration dont mon âme est remplie. Les passants qui saluent ta maison, les femmes qui battent des mains, les soldats qui sourient à tes éblouissants petits enfants, tout cela exalte ma joie et mon amour pour toi jusqu’au délire. Il faut pourtant que je reprenne un peu de calme, ne fût-ce qu’à cause de tes hôtes qui seront ici tout à l’heure. Le temps incertain ce matin paraît décidé à se bien comporter toute la journée. Je vais tâcher de suivre son exemple quoique je sois assez patraque en ce moment. J’espère pourtant prendre la plus grande part aujourd’hui au bonheur général ; c’est si bon de t’aimer que j’en viendrai à bout. Ce n’était pas un ban de tambour à l’uniforme de la République de 89 comme je te l’avais annoncé tout à l’heure qui passait, c’était des tambours de la troupe de ligne qui menaient la troupe à la revue. Ce qui n’empêche pas qu’il y aura, ou qu’il y a eu, hier, une promenade au flambeau menée par les dits tambours costumés en 89. Je me hâte de finir ma restitus pour aller veiller au déjeuner et pour te presser de t’habiller car le temps passe vite et il faut être prêt à partir à onze heures au plus tard si nous voulons être placées, nous autres femmes. Je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 187-188
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin