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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 décembre [1845], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme bien aimé, bonjour, vous, bonjour, toi, bonjour, profond intriganta, bonjour, je te donne mon grand couteau, mais prends garde de le perdre. Je te donne ma grande guipure, mais prends garde de la déchirer.
Voime, voime, viens y, pôlisson, et tu verras quelle giroflée mêlée de joubarDE [1] et de grande CHIladoine [2] je t’enverrai sur ton nez. Je n’ai pas besoin que tu viennes me dépouiller. Autrefois vous m’apportiez toutes sortes de belles choses, maintenant vous ne savez plus que m’emporter toutes mes belles affaires. Mais je suis très résolue à ne vous rien donner du tout. Je ne veux pas être GÉNÉREUSE, moi. On y perd trop. Je veux tout garder pour moi le plus que je pourrai. Sur ce, baisez-moi, monstre, et tâcher de m’aimer plus vite que ça.
Il fait un froid de chien, c’est à peine si je peux tenir ma plume. Il faudra décidément que je fasse bientôt allumer du feu dans le poêle le matin. Je retarde le plus que je peux pour empêcher le gaspillage de bois qu’on fera à cette occasion. Enfin il faudra bien se résoudre pour ne pas crever de froid.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je t’aime malgré ta filouterie et je te baise bien fort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 253-254
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « intriguant ».


14 décembre [1845], dimanche soir, [9  ?] h. ½

Je vous défends de souffrir, mon cher petit bien-aimé, je vous le défends absolument sous les peines les plus sévères. C’est bien le moins que je vous aie en bonne santé puisque je ne [peux] plus prétendre à d’autre bonheur. Cher adoré, je ne veux pas que tu souffres parce que cela m’est insupportable à penser. Pauvre être si doux, si bon, si noble et si charmant, c’est un crime que de te faire souffrir. C’est une chose qui me révolte au fond de l’âme. Quand le mal, quel qu’il soit, ose s’attaquer à toi comme s’il n’y avait pas de par le monde assez de cuistres hideux, méchants et ignoblesa sur lesquels tous les maux peuvent s’escrimer sans scrupules.
Il faut ne pas rester au brouillard, mon petit Toto chéri, il faut revenir bien vite auprès de mon bon feu. Hélas ! il faudrait surtout ne pas travailler, ce qui n’est pas possible. Encore si j’avais une bonne lampe, mais rien que de piteuses bougiesb. Voilà ce qui te fait mal à tes pauvres yeux.
Malheureusement je ne peux pas encore me chausser, mon pied est pire que jamais malgré le remède trop vanté de la jouebarDE [3]. Dès que je pourrai mettre un pied dans la rue, ce sera pour aller chez ce lampiste du diable. En attendant, cela ne remédie à rien et tes pauvres yeux adorés souffrent. Si je pouvais te donner les miens, tout mauvais qu’ils sont, je te les donnerais tout de suite avec joie pour ménager les tiens.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 255-256
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « de cuistre hideux, méchant et ignoble ».
b) « boujies ».

Notes

[1Juliette continue de jouer avec les mots « Joubarbe » et « Jobarde », comme dans sa lettre du 11 Décembre, après-midi.

[2Juliette déforme le nom de la plante « Chélidoine », plante utilisée en médecine « Elle est réputée apéritive, diurétique, fébrifuge et purgative » (Larousse).

[3Juliette continue de jouer avec les mots « Joubarbe » et « Jobarde », comme dans sa lettre du 11 décembre, après-midi.

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