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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 novembre [1845], lundi soir, 4 h. ½

Je fais le lundi à la manière des savetiers, mon Toto chéri, et je ne t’écris qu’à la fin de la journée malgré le désir et le besoin que j’en ai. Cela tient, je te l’ai déjà dit, à toutes sortes de rangements que j’ai à faire ce jour-là en plus que ceux quotidiens. Je viens de finir seulement tous mes triquemaquesa. J’ai envoyé Suzanne chez Guyot. Elle a rapporté l’argent que je n’ai pas défait de son enveloppe. Tu le compteras toi-même, car je ne me souviens plus combien ça doit être.
J’ai vu Claire ce matin avant son départ. Elle m’a priée de nouveau d’aller la voir un jeudi et de plus, elle m’a chargée de te remercier et de t’embrasser de tout son cœur. J’attends que tu viennes avec impatience pour m’acquitter de ma commission. Pauvre bien-aimé, je ne te vois jamais assez longtemps pour te caresser autant que je le voudrais. Tu es toujours pressé et toujours occupé, de sorte que mes baisers restent sur mes lèvres au lieu d’aller sur les tiennes. Cependant je suis très décidée ce soir à te les entonner de force quand tu viendras. Tant pire, il n’y a que les Zonteux qui perdent.
Tu ne m’apportes pas ton livre, mon Toto, comment veux-tu alors que je copie ? Tu ne m’apportes pas ta ceinture, comment veux-tu que j’arrange l’autre sans modèle ? Cependant tu viendras un de ces quatre matinsb me la demander tout de suite et elle ne sera pas faite. Si tu pouvais penser à ces deux choses-là, tu serais bien gentil. Cher adoré, je te tourmentec, je t’ennuie, je t’obsède, je le sens, mais c’est pour ton bien. Je ne peux pas souffrir que tu n’aies pas ce qu’il te faut en temps et heure, et pour arriver à te le donner, je te persécute d’un autre côté. Pauvre amour, tu es bien malheureux toi, c’est bien vrai. Tu pourras faire le pendant du plat et du vase en faenza du marchand de bric-à-brac du boulevard seulement au lieu d’un amour et d’un apothicaire. C’est moi qui te poursuis et te CANULE à la course. Baise-moi, pauvre petit homme, je te plains plus qu’un ŒUF et je t’aime comme soixante-quinze millions de BŒUFSd. Je te souris, je te porte, j’ai soif, je me fais faire une robe, il a crié quand il m’a mordue, tu as un bel habit, tu as visité la GLYPTOTHÈQUE et le RESTE, tu es mon petit homme ravissant que j’aime et que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 137-138
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « triquemacques ».
b) « quatres matin ».
c) « je te tourmentes ».
d) « soixante-quinze millions de bœuf ».


10 novembre [1845], lundi soir, 5 h. ¼

Je tiens à me racquitter et à vous donner de force votre gribouillis d’hier. Bisquez, ragez, fringuez [1], embrassez-moi... même si vous ne le voulez pas, je n’en continuerai que plus à vous grifouiller tout ce qui me passera par la tête. Jour, Toto, jour, mon cher petit o, pourquoi n’êtes-vous pas encore venu ? Je vous attends, je vous désire, je vous aime, qu’est-ce qu’il faut donc pour vous attirer, mon Dieu ? Dites-le, on le fera. En attendant, je me morfonds et je m’impatiente indéfiniment et pour rien puisque vous ne venez pas. Non, je ne veux pas grogner, non, tu es mon petit bien-aimé adoré fatigué et occupé que je plains de tout mon cœur et pour lequel je voudrais donner ma vie. Ne t’inquiète pas de moi, n’ajoute pas à la préoccupationa de ton travail celle de savoir comment je supporte ton absence. Je t’assure que, quel que soit ce que j’éprouve, je ne le changerais pas contre une couronne et contre tous les trésors de l’univers. Viens quand tu pourras, mon bien-aimé, tu es sûr de trouver toujours une femme qui t’aime à deux genoux et qui donnerait sa vie avec joie pour toi.
Je vais allumer mon feu pour te réchauffer tout à l’heure quand tu viendras, car j’espère que tu viendras tout à l’heure. Et puis j’allumerai ma lampe et puis je regarderai à la pendule bien des fois d’ici là. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 139-140
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « la préocupation ».

Notes

[1« Fringuer » est un terme populaire qui signifie « Sautiller en dansant » (Littré).

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