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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 octobre [1845], mercredi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon bon petit Toto, bonjour, mon cher petit gueulard, bonjour, vous, comment que ça va ce matin ? J’ai beau me lever de bonne heure, j’ai beau me dépêcher, je suis toujours en retard. Je ne veux pas faire de projet aujourd’hui pour la copie parce que cela ne me réussit pas. J’aime mieux ne rien dire et tâcher de faire l’ouvrage, ce sera bien mieux.
Il fait un temps ravissant, est-ce que tu ne pourras pas me mener choisir les soies aujourd’hui ? Je crains que ces Génevoy ne mêlent celles que j’ai déjà choisies. Et puis je crois qu’ils doiventa rendre l’assortiment qu’ils avaient pris pour me faire choisir et qui n’était pas à eux. Si toutes ces considérations jointes au temps idéal qu’il fait peuvent te décider à me faire sortir tantôt, j’en serai très contente.
Jour, Toto, REGARDEZ-MOI, mais regardez-moi donc. Tous vos yeux sont pour les POIRES et rien pour moi. Si vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse, vous vous trompez diantrement. Il est vrai que vous me prenez mon veloursb et mon coromandel [1], c’est quelque chose, mais ce n’est pas assez pour être la plus heureuse et la plus comblée des femmes. Il faut encore que vous me regardiez et que vous me parliez le soir quand, par hasard, vous êtes auprès de moi. Je le veux, entendez-moi ou je ne vous donnerai plus de poires.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 95-96
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « il doivent ».
b) « mon velour ».


29 octobre [1845], mercredi après-midi, 2 h. ¾

Je t’attends, mon petit Toto chéri, pourquoi donc ne viens-tu pas plus vite que ça ? Tu travailles, mon pauvre bien-aimé, aussi je te pardonne. Je n’ai pas voulu me mettre à copier sans te dire que je t’aime de toutes mes forces, que je pense à toi et que je serai bien contente et bien heureuse quand je te verrai. D’ici là, je vais bien travailler. J’espère que je ne serai pas dérangée mais, y en réfléchissant, je suis sûre du contraire, car c’est aujourd’hui le jour de la blanchisseuse et du jardinier. Enfin je ferai ce que je pourrai. D’ailleurs j’ai toute ma soirée à moi que je consacrerai à copier, à moins que tu n’exiges que je lise dix-huit journaux depuis les premiers-Paris [2] jusqu’aux [lits  ?] en fer creux. Tu en es très capable, mais alors ce sera ta faute et cela ne me regardera plus. À propos de regarder, j’espère que vous daignerez lever les yeux sur moi ce soir, sinon je vous ficherai des bons coups. Je m’insurge à la fin et je vous enverrai manger vos poires chez vous. Baisez-moi, il faut donc tout vous dire. Autrefois vous n’aviez pas besoin de cette contrainte par corps pour faire votre devoir. Maintenant on ne peut rien obtenir de vous qu’à force de menaces et d’importunités. Taisez-vous, vous M’ENNUYEZ BEAUCOUP quand vous vous trouvez DRÔLE. Baisez-moi encore et souriez-moi, je vous pardonne.
Quel beau temps et comme je serais heureuse de sortir avec toi. Malheureusement ça n’est pas possible. Travaillez, mamzelle Chichi, ça vaudra beaucoup mieux et laissez le beau temps tranquille, ça ne vous regarde pas. Le soleil n’est pas fait pour VOUS, TU n’en as pas besoin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 97-98
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Dans sa lettre du samedi 4 octobre 1845 au matin, Juliette évoque une commode en laque de Coromandel (laques originaires de Chine exportés en Europe durant la seconde moitié du XVIIe et au XVIIIe siècles, et alors très en vogue). Victor Hugo apprécie particulièrement ces meubles.

[2Premier-Paris : éditorial en une d’un journal.

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