19 août [1845], mardi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, comment vas-tu ? As-tu bien dormi ? Ta vilaine douleur s’en va-t-elle ? Que tu es bon d’être venu hier au soir. Je n’osais plus l’espérer. Merci, mon doux Toto, merci, tu m’as rendue bien heureuse. Quant à ce que je t’ai dit pour sortir, je n’en userai qu’à la dernière extrémité quand je souffrirai trop, comme hier par exemple. Du reste, je t’écrirai toujours avant de sortir où je vais et l’heure à laquelle je suis partie et celle à laquelle je suis revenue. Mais, je te le répète, ce ne sera qu’à la dernière extrémité. Je profiterai des vacances de ma fille pour me donner de l’exercice si tu n’es pas toi-même souffrant.
Voici Eulalie. Je te dirai que je me suis trompée de 10 francs sur l’addition des reconnaissances. Au lieu de 221 francs, c’est 231 francs. Je l’avais faite précipitamment, ce qui est cause de l’erreur. Oh ! quel ennui que ces hideux papiers. Je ne peux pas y penser sans tristesse, je ne peux en voir un sans crispation. Le jour où je n’en aurai plus, il me semblera que j’aurai une montagne de moins sur la conscience.
Bonjour, Toto, bonjour, mon cher petit o, je t’aime. J’ai un besoin inexprimable de revoir les Metz [1]. Il faudra absolument que tu m’autorises à faire ce pèlerinage aux vacances. Je reliraia La Tristesse d’Olympio [2] sur les lieux mêmesb. Si tu savais à quel point ce désir est devenu un besoin pour moi, tu ne t’y opposerais pas, au contraire. En attendant, je t’adore comme le meilleur, le plus doux et le plus ravissant des hommes que tu es.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 168-169
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « je relierai ».
b) « les lieux même ».
19 août [1845], mardi soir, 6 h. ½
Au moment où j’allais t’écrire, mon adoré, Mme Triger est venue savoir de tes nouvelles. Cher bien-aimé, je te remercie d’être venu et d’être resté quelques instants avec moi. Je ne veux pas que tu fassesa d’imprudence ce soir, mais je serais bien heureuse qu’une occasion se présentât de te voir encore une fois aujourd’hui sans danger pour ta chère petite santé. C’est si bon de te voir que je ne m’en lasserai jamais. Les élus ne se lassent pas de voir Dieu pendant l’éternité. Moi je ne me lasse pas de te voir non plus, car tu es mon cher petit Dieu adoré. Si tu savais avec quelle émotion de tendresse et de regret j’ai revu ce petit dessin de Malines [3]. Il me semblait voir le portrait d’un enfant aimé et perdu à tout jamais. C’est en effet le portrait d’un bonheur parfait qui ne reviendra plus jamais. Je te dis cela comme je peux mais tu dois me comprendre. Est-ce que ce n’est pas un singulier effet de magnétisme que celui qui m’a attirée vers ce petit dessin juste le jour anniversaire et heure par heure à laquelle il a été fait ? Pour moi, il m’a semblé que c’était ma petite âme qui m’avertissait de donner une pensée pieuse à ce souvenir d’un bonheur qui n’est plus. Je lui ai obéi et je suis restée plusieurs minutes en contemplation devant ce cher petit dessin et puis je l’ai embrassé à travers la vitre. Mon Victor, mon bien-aimé, ma joie, mon bonheur, ma vie, je suis à toi par le cœur et par l’amour, le jour où tu ne voudras plus de moi, je mourrai.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 170-171
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tu fasse ».