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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 juillet [1845], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, comment vas-tu mon cher petit infirme ? Tu sais, ou plutôt, tu vas savoir que nous sommes stupides tous les deux. Si nous avions lu avec attention l’avis qui enveloppait le papier Fayard [1], nous aurions vu qu’il fallait, pour détacher le papier, l’enduire d’huile la veille ou au moins quelques heures auparavant et nettoyera la place en la frottant avec de l’huile chaude. Tout cela nous a échappé à toi comme à moi, mais nous n’en demeurons pas moins parfaitement stupides. Quand je pense que j’aurais pu t’épargner une demi-heureb d’atroces et d’agaçantes souffrances, je suis furieuse contre moi. Dorénavant j’apprendrai par cœur tous les prospectus des marchands d’orviétan [2]. Je ne m’en rapporterai plus à vous. Pour celui que tu as maintenant, nous l’enlèverons dans les formes prescrites, ça ne sera pas malheureux.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Papa est bien i, mais il faut le dire vite. Baisez-moi, je vous aime. Vous ne voulez donc plus me faire sortir, mon Toto ? Voilà plus de trois mois que cela ne vous est arrivé. Je ne vous tourmente pas souvent à ce sujet, mon amour, parce que je sais que vous travaillez, mais cependant j’en suis triste et je me dis qu’il y a eu bien des moments depuis trois mois pendant lesquels vous auriez pu me faire sortir si vous l’aviez bien voulu. Si j’ai tort, je t’en demande humblement pardon. Si j’ai malheureusement raison, je te supplie d’en avoir des gros remords et de me faire sortir aujourd’hui même, puis demain, puis après-demain, puis les jours suivants en expiation.
En attendant, je vous aime sans la plus petite rancune, sans la moindre amertume, je vous aime de tout mon cœur comme si vous ne me faisiez jamais de chagrin. Je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 83-84
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyer ».
b) « une demie heure ».


28 juillet [1845], lundi soir, 6 h. ¾

Tu viens de me quitter, mon amour bien aimé, il me semble que tu as emporté avec toi la lumière, la joie et le bonheur. Il fait déjà sombre dans ma chambre et triste dans mon cœur. Je ne m’habituerai jamais à ne pas te voir pas plus que je ne suis habituée à te voir. La première m’est aussi douloureuse que le premier jour et la seconde excite en moi le même enthousiasme et le même ravissement que la première fois. Je ne suis pas plus blasée sur l’une que sur l’autre de ces deux choses, quoiqu’il y ait bientôt treize ans que cela dure. Je t’aime mon Victor chéri, je voudrais être belle, jeune, bonne, spirituelle et aimable pour te plaire et être digne de toi. Hélas ! je n’ai que mon amour. C’est plus qu’il ne faut pour remplacer toutes ces charmantes qualités si tu m’aimes, mais c’est un défaut de plus si tu ne m’aimes pas. Tu m’aimes, n’est-ce pas ? Ô oui, tu m’aimes. Il est impossible que tu ne m’aimes pas. Un amour comme le mien en inspirerait à la haine en personne. Aussi je crois que tu m’aimes. J’ose être sûre que tu m’aimes. Je suis heureuse, je te bénis et je t’adore. Si tu peux venir de bonne heure ce soir, je serai bien contente et je pousserai mon fameux cri de guerre : quel bonheur !!! Les occasions deviennent de plus en plus rares où je pourrais le pousser à propos, aussi je finirai par l’oublier si tu n’y prends pas garde. En attendant, cher bien-aimé, bien adoré, et bien désiré Toto, je te baise des millions de milliards de fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 85-86
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Papier chimique utilisé pour soigner les inflammations.

[2Marchand d’Orviétan : Charlatan qui vend des drogues sur la voie publique.

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