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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 juin 1845

22 juin [1845], dimanche matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon ravissant petit Toto, bonjour, comment va ton cher petit pied ce matin ? Est-ce que ce temps orageux et pluvieux ne lui fait pas de mal ? Je voudrais bien qu’il fût guéri et que tu me rendes mes bonnes petites heures de la nuit. C’est bien gentil et bien doux un cher petit blessé qui vient vous voir clopin-clopant, clopinant, mais c’est encore bien plus gentil et bien plus doux quand c’est un bon petit tranche-montagne [1] qui vient vous faire des prouesses en PROMESSES et qui se fiche de vous à votre nez et à votre barbe. L’un me va beaucoup mieux que l’autre parce que j’aime mieux vous MÉPRISER que vous PLAINDRE. Voilà, mon cher petit floueur [2], mes goûts et mes opinions.
Ainsi que je l’avais prévu, M. Pradier a été très peu ému de la non réussite de sa fille. Il ne l’aurait pas été davantage du succès. C’est une pauvre nature que la sienne. J’ai fait dire aux Lanvin d’aller chercher ce paquet chez toi demain lundi à 8 h. du soir, mais j’ai oublié de te le dire à toi. Il est probable même que j’oublierai encore aujourd’hui, de sorte que tu ne seras pas prévenu et qu’on ne saura peut-être pas ce que cela veut dire chez toi. Ma foi, tant pire, je fais ce que je peux et toi aussi. Baise-moi, mon Victor chéri, baise-moi, mon cher amour adoré, tâche de ne plus souffrir que je puisse te marcher sur les pieds à mon aise et sans remords. En attendant, je t’envoie ma pensée, mes baisers et mon âme tout entière. Tu es mon Victor adoré bien désiré et bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 329-330
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


22 juin [1845], dimanche, midi ¾

Voici enfin un moment de répit, mon Toto adoré. Tu pourras en profiter pour sortir si tu as quelque visite de parents ou d’affaires à faire. En même temps, si tu t’en sens le courage, tu viendras jusque chez moi et je serai bien heureuse parce que je ne suis pas fière. Moi, pourvu que je te voie, je suis heureuse. Et si tu pouvais ne plus souffrir du tout aujourd’hui, je serais à la joie de mon cœur.
Clairette est allée à la messe. Depuis elle lit Le Rhin [3] avec fureur. Demain elle ira à l’Hôtel de Ville. Il faut espérer cette fois qu’elle ne trouvera pas visage de bois comme d’habitude.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, tâchez de venir, mon amour, et sans vous faire de mal surtout. Je serai bien contente, mon Toto, si je te vois tout à l’heure. Cela me fera paraître mon dimanche un jour de fête. Ordinairement je suis plus triste ce jour-là que les autres parce que je te vois encore moins que de coutume. Si tu viens aujourd’hui, ce sera une ravissante exception qui me comblera de joie. En attendant, je pense à toi. Je ne pense qu’à toi. Je t’aime de tout mon cœur et plus encore. Je t’adore. Je baise ton pauvre petit pied malade. Porte-moi, je veux bien le porter depuis ici jusque là-bas, là-bas, tout là-bas, et plus loin, bien plus loin, toujours plus loin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 331-332
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Tranche-montagne : Fanfaron, vantard.

[2Floueur : Filou, trompeur.

[3Une nouvelle édition du Rhin est publiée le 3 mai 1845, en quatre volumes, augmentée de quatorze lettres inédites.

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