10 juin [1845], mardi matin, 10 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon adoré, comment vonta ta tête et ton torticolis ce matin ? Voilà une ligne qui ressemble à ton thé t’a-t-il ôté ta toux ? Aussi pourquoi avez-vous une tête et un torticolis ?
Je me dispose à aller chez Claire tantôt. Je crois que cela sera prudent. J’ai reçu une lettre de Brest [1]. Ces pauvres gens sont toujours fort tristes, ma sœur surtout, et cela doit être, car rien ne vient la distraire forcément de son chagrin. Ils ont encore eu un assaut. Leur fille aînée, Louise, a eu ces jours-ci une angine qui a nécessité les sangsues. Tu penses que la moindre chose les épouvante maintenant. Les inspecteurs ont fini leur tournée à Brest et à Lorient. Il paraît qu’ils ont fait d’excellents rapports sur la prospérité des deux collèges, ce qui donne de l’espoir à mon beau-frère pour son ami le principal. Moi, je ne te demande rien, car je ne sais pas si tu peux agir dans ce moment-ci et puis vraiment, je COMMENCE (il est bientôt temps) à être honteuse de mes obsessions pour moi et les miens. Vrai, mon petit Toto, je sens que je deviens canulante [2]. Aussi je me suis promisb de m’abstenir pendant quelque temps.
J’attends le Granger ce matin. C’est aujourd’hui l’avant-dernier acompte. Le mois prochain, je n’aurai que 9 francs à lui donner pour solde de tout compte. Hélas ! à celui-là succédera quelque Garnier, ou quelque Lebreton ou Ledon quelconque. Tout n’est pas fini, malheureusement, sans parler de ce hideux Mont de Piété qui fait ma honte et mon désespoir. Dans quelle galère es-tu venu te fourrer, mon pauvre ange ? Dieu sait que cela étaitc bien malgré moi. Tu t’en souviens, n’est-ce pas ? Je t’aime, mon Victor. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 281-282
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « va ».
b) « je me suis promise ».
c) « cela été ».