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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 avril [1845], dimanche matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, le plus aimé et le plus béni des hommes, bonjour, mon âme toute entière est dans ce mot si simple : bonjour.
Je suis levée depuis sept heures du matin. La mère Lanvin et Félix sont venus à cette heure-là planter toutes sortes de petites choses dans mon jardin. Ces pauvres gens ont voulu te témoigner par là leur reconnaissance. Je leur aurait fait beaucoup de peine en les refusant. Aussi je me suis contentéea de les gronder doucement et puis je les ai fait déjeuner tous les deux. Du reste, mon adoré, j’ai le cœur bien gros. Ma fille vient de m’apprendre en pleurant que son père lui avait écrit vendredi dernier pour lui défendre de prendre son nom ou de se le laisser donner [1]. Cette défense est d’autant plus inouïe que c’est lui qui a dit à Charlotte de lui écrire sous ce nom. La pauvre enfant en est suffoquée et moi j’étouffe de colère et de mépris. Cet homme est décidément un misérable imbécileb, un stupide drôle, le plus vil et le plus bête des hommes. Il doit aller conduire Charlotte demain à la pension. J’ai donné à Claire quelques conseils sur l’attitude qu’elle doit avoir vis-à-vis de lui et ce qu’elle aura à lui dire si l’occasion le permet. Tu verras, mon bien-aimé, si mon indignation m’a poussée trop loin ou si elle m’a bien inspiréec. En attendant, mon Victor adoré, je t’aime comme on aime Dieu dont tu es le plus bel ouvrage au dehors et au dedans. Je t’aime pieusement et passionnément. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je te désire et je t’attends de tout mon cœur.

Juliettef

BnF, Mss, NAF 16359, f. 103-104
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin, Siler]

a) « contenter ».
b) « imbécille ».
c) Au bas de la dernière page, « 23 Icart » a été rajouté sur le manuscrit par une autre main que celle de Juliette.


27a [avril, 1845], dimanche soir, 9 h. ½

Mon bien-aimé, mon ange gardien, mon Victor adoré, merci de tes bons conseils, merci de ton généreux appui, merci de ta tendresse, merci pour ma pauvre fille et pour moi. Depuis ce matin, j’avais le cœur navré, mais tu es venu et tu m’as redonné du courage. Ton généreux cœur a trouvé une explication et une excuse possible à la conduite de ce misérable homme. Je vais en parler tout à l’heure à cette chère enfant et je lui dirai tout ce que tu m’as dit de bon, de doux, de consolant et de fortifiant. Cher adoré bien-aimé, tu vas venir, n’est-ce pas ? Cette nuit, je t’ai attendu bien tard et ma grande fillette aussi. Ce matin, j’étais levée de très bonne heure, ce qui m’a fait paraître la journée deux fois plus longue encore que de coutume. Il était temps tantôt que tu arrivassesb, car j’étais au bout de mon courage. Ces pauvres péronnellesc ont été toutes contristéesd car elles se sont aperçues, quelque efforte que je fisse, que j’étais triste et Claire aussi. Elles se sont en allées de très bonne heure. Elles ont eu un triste dimanche grâce à la lubie de ce hideux Pradier. Enfin il faut espérer que tout cela s’arrangera mieux que nous ne l’espérons grâce à ta généreuse intervention. En attendant, je t’aime de toute mon âme et plus encore si on peut aimer plus que plein son cœur. Je t’adore, mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 105-106
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « 28 ». La date a été corrigée sur le manuscrit par une autre main.
b) « tu arrivasse ».
c) « ces pauvre péronnelles ».
d) « toute contristées ».
e) « quelqu’effort ».

Notes

[1Voici un extrait de la lettre du 25 avril 1845 de James Pradier à sa fille, Claire Pradier : « Ma bonne et grande Claire, / J’ai vu le maître de pension de (John  ?( qui m’a appris que tu avais écrit à J(ohn( ainsi que Charlotte. Je dis que vous écriviez le moins souvent possible. Je pense qu’il ne faut pas habituer les jeunes filles à se servir de leurs plumes pour faire connaître leurs sentiments, cela donne trop d’habitudes ; en ce genre de conversation il faut savoir mais ne pas s’en servir. D’ailleurs, ils se voient tous les quinze jours et c’est assez. Et puis aussi, ne signe plus pour eux Pradier, car on sait tout et cela pourrait donner matière à chicane de la part de bien des gens. Tu n’as pas besoin de cela pour être aimée et respectée. Va franchement et ne crains rien, le temps heureux viendra un jour. Sois prudente en toute chose. Il faut que mes enfants s’habituent à ta situation telle quelle, ils te porteront plus d’intérêt plus tard. Encore, puisque c’est l’heure des conseils, quand tu écris, aie donc une autre formule que père adoré ou bien aimé. J’y suis peu habitué et ne suis pas un dieu. Ces épithètes ne doivent se consacrer qu’à eux. Dis-moi toute autre chose qui me semblera plus naturelle et que je n’ai pas besoin de te souffler, ton cœur te le dira. Écris aussi plus lisible pour moi, car je ne reçois tes lettres que le soir, et surtout, écris quand tu auras quelque chose à me dire de nécessaire. Ne deviens pas écrivassière pour rien, je veux dire pour le seul plaisir de prendre la plume (...( » (Siler, t. III, p. 145).

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