Guernesey, 11 mai 1859, mercredi matin, 7 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour avec toutes les tendresses de mon cœur et de mon âme. Le soleil est pour ces dames ce matin et c’est JUSTICE. Car à qui Dieu sourira-t-il si ce n’est à ces deux parties de toi-même : ta femme et ta fille. Elles vont avoir une traversée à souhait, le temps le plus calme et la brise la plus aimable pour servir de cinquième roue à leur carrossea maritime [1]. Cher adoré, je te prie de ne pas trop t’ennuyer de ce départ et d’attendre avec patience la fête du retour qui arrivera dans un mois et peut-être plus tôt car je ne crois pas qu’elles s’attardent aux joies lugubres et aux plaisirs couleur de suie de ce grand père Lachaise (lisez London, prononciation anglaise) quelque embêtants qu’ils soient. Dans un mois, jour par jour, nous nous verrons arriver ce goum [2] honteux et confus jurant mais un peu tard qu’on ne LUI prendrait plus son fromage ni sa bourse [3]. J’attends ce moment avec impatience pour toi, mon pauvre adoré, qui fais tous les frais de cœur et d’argent de tous ces déplacements nostalgiques. Mais jusque là, je souhaite à ce cher groupe toutes les bonnes chances de la vie sur la terre et dans Londres et sur l’eau. Je t’aime. Je t’attends. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 125
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « carosse ».