Guernesey, 9 avril 1859, samedi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé. Bonjour, je t’aime. C’est tout dire et le RESTE, s’il y en avait, ne pourrait plus être que du superflu. Je n’ai pas pu trouver le joint pour te remercier hier de la nouvelle copire que tu m’as donnée hier à faire, mais cela ne m’a pas empêchée d’admirer à travers les nuages de larmes qui passaient sur mes yeux ta poésie la plus grande que NATURE et dépassant de plusieurs millions de coudées le génie humain ordinaire. Quel drame complet que ce nouveau poème [1], mon cher adoré ! Ma pauvre petite intelligence pucerone n’y aurait pas suffi si mon cœur et mon âme n’étaient pas venus en aide à mon admiration. Quelle mélancolie, quel charme, quelle douceur, quelle tendresse dans les premières parties ; quelle splendeur, quel effroi, quelle terreur et quel exploit de désespoir navrant dans les dernières et quel coup de foudre que ce coup d’épée qui tranche du même coup la tête de l’archange humain et celle du démon couronné. Je passerais ma vie à te dévider mon admiration sans en voir le bout car elle est mêlée inextricablement à mon amour pour toi. Aussi, j’y renonce ; mais je ne peux pas m’empêcher de te crier que c’est beau de PIRE EN PIRE et que je t’aime encore plus fort que chez NICOLETa [2] et que je te baise de même. Juliette.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 93
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « NICOLLET ».