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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 juin 1844

24 juin [1844], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon ravissant petit Toto, bonjour, mon cher petit homme chéri. Comment vas-tu ce matin ? Je ne t’ai pas vu hier au soir ; je peux le dire au propre et au figuré car tu es venu une seconde seulement et nous étions sans chandelle. Je ne m’accommode pas beaucoup de ce régime, je pourrais même avouer qu’il me rend très malheureuse mais je ne veux pas te tourmenter. Je sais que ce n’est pas ta faute et que tu passes ta vie à travailler. Je le sais, mon pauvre ange adoré, et je m’en veux de ne pouvoir pas t’aider et te soulager en rien. Je t’aime, mon Victor, je t’adore mon beau divin bien-aimé. Ma Clairette est partie ce matin à 8 h. Lanvin est venu la chercher. Elle m’a bien recommandé de t’embrasser et de te prier de me mener à la pension la voir. Elle t’avait attendu jusqu’à près de minuit hier pour te voir et elle t’aurait attendu encore si je ne l’avais pas fait couchera. Les dimanches sont de vilains jours de sortieb pour elle parce que tu es moins libre encore que les autres jours, ce qui est tout naturel, il ne serait pas juste de découvrir tes chers petits saints Pierres pour couvrir ma grande sainte Paul. Mais c’est ce qui est cause que cette pauvre enfant a peu d’agrément chaque fois qu’elle vient à la maison. Qu’y faire ? Voici bientôt les vacances. Si tu peux nous faire sortir et marcher un peu, tu nous feras du bien et du bonheur tout à la fois, à moi surtout qui ai un si grand besoin d’amour et d’air. D’ici là, il faut que je tâche de vivre et de respirer dans mon étouffoir, ce qui n’est pas très facile par les TRENTE DEGRÉS DE CHALEUR qui rissolent le pavé à l’heure qu’il est. J’y ferai tout mon possible cependant, et je baise tes adorables petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 187-188
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « couchée ».
b) « sorties ».


24 juin [1844], lundi après-midi, 4 h. ¼

Je crains bien de m’être habillée pour rien, mon cher petit prometteur. L’inconvénient de ce genre de désappointement, c’est de me faire étouffer dans une robe d’hiver car je n’ai pour tout potage qu’une robe de moire noire, et de redoubler mon impatience qui n’a pas besoin de ce prétexte pour me faire beaucoup souffrir. Si tu n’es pas venu d’ici à quelques instants, je me déshabillerai de vive force et ne rhabilleraia certainement pas. J’ai tant, tant et tant souffert de l’attente et des déceptions de toutes sortes que je suis au bout de mon rouleau. Depuis qu’il s’est agi de faire semblant de m’apprêter pour un semblant de sortie, j’ai le cœur plus serré que de coutume et j’ai toutes les peines du monde à ne pas pleurer à chaudes larmes. Mon Dieu, je n’aurais jamais cru que de petites souffrances amassées jour par jour, heure par heure, minute par minute, peuventb créer un chagrin et un découragement aussi profond que le mien. Tout ce qui est un sujet de joie pour les autres est un sujet d’amertume pour moi, rien ne me réussit, même les choses les plus simples. Tu ne viendras pas, j’en suis sûre ; voilà déjà plus de deux heures que tu es parti. Pourquoi donc m’infliger ce petit supplicec inutile de t’attendre et de m’habiller ? J’ai bien assez, mon Dieu, de t’attendre au hasard et sans heure indiquée, de t’attendre en me créant des occupations intérieures et presque de la fatigue, sans y ajouter ce petit excédent d’impatience. Je suis honteuse de tout ce que je t’écris mais je souffre tant que voilà tout ce que je trouve à te dire à présent.

Juliette

Mon cher petit bien-aimé, je te demande pardon de toute ma méchanceté, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 189-190
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « r’habillerai ».
b) « peut ».
c) « suplice ».

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