17 janvier [1844], mercredi matin, 11 h. ½
Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour mon cher petit prometteur. Bonjour je vous fais mon compliment de votre exactitude. Bonjour, bonjour, je vous adore. Vous êtes très gentil, Voime, voime, il faut le dire vite pour ne pas se tromper. Moi je vous fais acheter votre briquet chimique pour que vous ne fassiez plus des scènes nocturnes à ce pauvre Toto au risque de le rendre malade. Je suis un peu plus exacte que vous, moi, et je pourrais lutter avec le canon du Palais Royal au mois de juin [1].
Vous m’avez dit, mon Toto, que vous ne pourriez pas me faire sortir aujourd’hui ni demain parce que vous avez des affaires mais vous ne m’avez pas dit lesquelles ? Je ne suis pas assez orientale pour me contenter de cette réponse. Il faudra que vous ajoutiez l’explication détaillée des affaires qui vous occuperont tous ces jours-ci sans vous laisser un moment pour me faire respirer et pour penser à moi. Je deviens très exigeante comme vous voyez. Cela tient peut-être au dégel. À propos de dégel, il me semble qu’il serait prudent de commander des bottes à Dabat ? Il faut me le dire et me dire aussi de quel pied vous les voulez puisque vous avez trouvé un nouveau procédé pour faire faire trois fois plus de chemin à un de vos pieds qu’à l’autre.
Je vous aime mon Toto adoré. Je vous aime quoique… et malgré que… Je vous aime toujours, je suis une drôle de femme comme vous voyez. Baisez-moi et faites-moi cirer vos bottes, j’y consens mais aimez-moi ou je vous tue. C’est mon ultimatum.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16354, f. 61-62
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette
17 janvier [1844], mercredi soir, 10 h. ¾
Je ne te vois plus, mon Toto et cela ne m’arrange que tout juste assez pour être horriblement fâchée. Vraiment, mon cher petit, je ne te vois pas assez. Conviens-en et tâche de me donner un peu plus de temps malgré ton travail, malgré tes affaires pour que je ne sois pas un pauvre chien abandonné.
J’espère que ce ne sont pas mes deux vieilles filles qui t’ont fait fuir si vite ? Voilà d’y a plusieurs fois. Tiens te voilà, quel bonheur !a
18 janvier [1844], jeudi matin, 11 h.
Mon cher bien-aimé adoré, je devrais faire servir mes vieilles lettres, cela économiserait du bon papier blanc et ce serait toujours la même chose. Je suis si bête que je ne sais rien te dire ; et je t’aime tant que c’en est monotone. Aussi je pourrais, à la date près, faire servir le même gribouillage depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre, tu ne t’en apercevrais pas. Cependant, je comprends bien tout ce qu’il y a de grand, de doux, de beau et de sublime en toi, mon adoré. Pas une seule de tes divines pensées n’est perdue, je les recueille toutes au fond de mon cœur et mon admiration se change en adoration. Mais rien ne profite à mon esprit, je reste toujours une pauvre petite bête de Juju comme devant. Ce n’est pas ma faute, comte à chacun son lot [2]. Le bon Dieu vous a donné le génie, à moi il m’a donné l’amour. Ces deux choses vont très bien l’une à l’autre, c’est pour cela qu’il faut vous laisser aimer par moi dans ce monde et dans l’autre jusqu’à la consommation des siècles.
Baisez-moi mon cher petit bien-aimé et tâchez de ne pas me laisser vous désirer et vous aimer à crédit toute la journée.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16354, f. 63-64
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette
a) Huit points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.