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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 octobre [1842], mardi matin, 8 h. ¼

Bonjour mon Toto bien aimé. Si vous n’avez pas de remords de votre conduite, c’est que vous ne m’aimez pas, c’est que vous ne m’avez jamais aimée. Quant à moi, je suis si triste que je ne sais plus où j’en suis. Peu s’en faille que je ne jette le manche après la cognée. Je ne crois pas qu’il y ait rien de plus hideux au monde que le sort d’une vieille maîtresse, sans en excepter les vieux chevaux, tout ce que j’avais imaginé en ce genre-là n’approche pas de la vérité. Je suis bien triste, mon amour, si vous me voyiez vous auriez pitié de moi. Claire est partie hier au soir. J’ai cru un moment qu’on ne viendrait pas la chercher, il était déjà six heures passées. Enfin, Mlle Hureau est arrivée, très pressée bien entendu. Je lui ai remis l’argent du trimestre et je suis restée toute seule. Enfin, pour passer le temps ou pour mieux dire pour faire une affreuse corvée pour laquelle je n’ai pas trop de tout mon courage, j’ai lavé ma tête depuis 10 h. ½ jusqu’à minuit. J’ai envoyé une lettre par la poste pour prévenir ce hideux Ledon de venir aujourd’hui de bonne heure avec tout son affreux attirail. Cela ne m’empêchera pas d’envoyer Suzanne et le frotteur au bain tantôt. Quand tu reviendras, mon Toto, je serai sinon plus jeune et plus pâle qu’hier, du moins plus gaie et plus heureuse puisque tu seras là. En attendant, je fais tout mon possible pour ne pas me laisser aller au découragement mais j’ai bien de la peine à y réussir.
Prends garde, mon Toto bien aimé, de n’avoir pas froid. On dit qu’il a gelé cette nuit et qu’il fait très froid ce matin. Moi, je n’en sais rien encore puisque je suis encore au lit d’où je t’écris toutes ces stupides stupidités. Je vais me lever tout à l’heure pourtant pour passer mes cheveux au son bien vite. Tu seras bien gentil, mon amour, si tu reviens pour dîner. Je n’ose pas l’espérer pour déjeuner parce que ce serait presque désirer l’impossible, mais pour l’heure du dîner, vous pouvez très bien être revenu si vous mettez l’ombre d’une bonne volonté quelconque. D’ici là, je vais faire tous mes hideux triquemaques et vous désirer de toutes mes forces. Je vous aime, moi. Je ne vous trouve pas vieux, bête, laid et ROUGE, moi. Je vous adore, moi, voilà la différence.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 167-168
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

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