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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 janvier [1842], lundi soir, 9 h. ¾

Je ne veux rien avoir à vous, mon cher petit scélérat, et puisque je vais mieux, je vais vous payer ma dette, sinon en esprit, du moins en cœur, ce qui ne sera pas vous volera puisque vous ne m’avez pris que sur cette recommandation et que vous avez très bien fait encore. Baisez-moi, monstre et demandez-moi pardon de ma MÉCHANCETÉ. Quelle ravissante surprise vous m’avez fait cette nuit, et comme je vous en défie de recommencer tout de suite, si cela peut vous encourager à m’en refaire une autre la nuit prochaine. Mais, hélas ! je n’y compte pas car vous ne m’avez pas habituée à ce genre de bonheur successif. Ce sera donc une vraie véritable surprise, si vous revenez cette nuit. Je fais travailler ma péronnelle [1] et je travaillerai moi-même tout à l’heure, car vos chiens de livres m’ont mis en retard de tout mon ouvrage. Je vous dis que vous êtes né pour mon malheur. Quoi ? Taisez-vous et répondez ; comment vont les aphtesb ? comment vont les pieds ? comment va le cœur ? Trois choses qui m’intéressent essentiellement. Vous étiez très beau tantôt et surtout très pressé, je ne suis pas sûre du tout que tout cet empressement fût pour votre ASSURANCE quoique vous m’ayez assuréec du contraire. Mais ce qu’il faut que vous soyez sûr, c’est que si vous me trahissez, je vous tuerai net comme dominus [2]. C’est à vous de voir si vous voulez en essayer. En attendant, je ne vous le conseille pas car rien que d’y penser, j’en ai mal dans les dents et dans les ongles. Tâchez surtout de ne pas venir trop tard manger votre souper. J’ai faim et soif de vous voir, moi, et je ne m’arrange pas d’une diète par trop prolongée. C’est bien assez d’être bête comme une oie et de ne pas seulement savoir dire ce que j’ai dans le cœur, sans y ajouter le suppliced de vous désirer indéfiniment. Baisez-moi scélérat, et sachez-moi quelque gré d’avoir fait violence à ma migraine pour vous griffonner ces monstres de grandes pages blanches. Je vous aime d’autant plus que je suis stupide.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 71-72
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « volé ».
b) « affetes ».
c) « assuré ».
d) « suplice ».

Notes

[1Elle désigne ainsi sa fille Claire.

[2Juliette Drouet emploie souvent cette expression dans un contexte de jalousie.

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