Aux Metz, mercredi matin [23 septembre 1835], 8 h. ¼
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Victor, comment vaa ta jambe, ta pauvre jambe malade ? J’ai tant besoin que tu ne souffres pas que je fais comme les peureux qui chantent quand ils ont peur. Moi, je me dis que ce ne sera rien, que ta souffrance d’hier était occasionnée par la peau qui se séchait tout autour et gênait les mouvements de ta jambe. Mais toutes ces raisons cachent une crainte qui est au fond de mon cœur. Je crains d’abord que tu souffres et que cette souffrance ne t’empêche de venir jusqu’au châtaignier, ce qui me rendrait folle d’inquiétude et de chagrin.
Mais non, non, n’est-ce pas ? Tu vas mieux ce matin ? Tu pourras marcher, nous pourrons nous voir, nous pourrons être heureux.
Je viens de relire tout à l’heure tes deux bonnes lettres. Je les avais lues et relues hier avant de me coucher. Je les sais par cœur, je me les répète en t’écrivant, je les chante dans mon âme. Je suis folle d’amour et de joie. Celle d’hier a remplacéb sur mon cœur celle du 9 [1], c’était juste. Il faut qu’elles aient chacune leur tour. Et puis l’autre ne me quitte pas. Pour cela, elle couche avec moi tous les soirs.
Je viens d’envoyer mes deux lettres à Jouy avec les changements que tu m’avais indiquésb. Je vais écrire tout à l’heure à Mme Guérard, à M. Jourdain et à ma portière parce que je crains qu’elle ne [refuse ?] comme l’autre fois les lettres venant par la poste sans donner mon adresse ici.
À bientôt, mon adoré, tu seras moins triste aujourd’hui, je l’espère.
J’ai tout ce qui faut pour te rendre gai et heureux, j’ai l’amour et le bonheur.
BnF, Mss, NAF 16324, f. 288-289
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « vas ».
b) « a remplacée ».
c) « indiqué ».
Aux Metz, mercredi soir [23 septembre 1835], 8 h. 20 m.
Ma chère âme, mon amour, je suis ravie de t’avoir eu avec moi un grand moment de plus que d’habitude, et cependant, je suis triste en pensant que tu as dû arriver fatigué et en sueur. Je ne parle pas du retard, je me moque bien qu’on t’attende quand je suis avec toi, on t’a toujours plus que je ne voudrais pour mon bonheur. Ainsi, ce n’est pas pour cela que je regrette que tu te sois attardé, mais pour toi, pour ta chère petite personne que j’aime et que je voudrais mettre dans du coton, et puis je crains que tu ne te sois imposé cette prolongation de notre bonheur. Cette pensée suffit pour me rendre bien triste le souvenir de cette route que nous avons faitea ensemble et où je t’aimais tant.
Mon Victor adoré. Il fut un « temps te souviens-tu, où tu étais injuste et méchant avec moi, et où tu comptais assez sur mon amour pour ne rien changer à nos habitudes ? C’est toujours comme cela que je te veux. Je suis habituée à te voir jaloux sans raison, à t’aimer d’autant plus que tu es plus inquiet », je ne veux pas que tu sois autrement avec moi à présent qu’il y a un an [2]. Je veux que tu sois tout aussi à ton aise que dans ce temps-là. Je veux que tu aies confiance en mon amour à présent comme alors. Entends-tu bien, cher petit homme adoré ? Si tu savais comme je t’aime, tu n’aurais jamais de jalousie et si tu savais comme je t’aime encore plus, tu n’aurais pas d’inquiétude sur la durée de mon amour.
Bonsoir, cher petit homme, dors bien, ne travaille pas, ne te fatigue pas, dors bercéb par ma pensée, et rêve que je t’aime autant que dans la réalité.
BnF, Mss, NAF 16324, f. 290-291
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « fait ».
b) « bercée ».