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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 octobre [1843], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto adoré, bonjour mon pauvre homme désolé, bonjour, bonjour, je t’aime. Je ne peux pas te consoler mais je t’aime de toute mon âme. Je ne peux pas te rendre le bonheur que tu as perdu mais je te donne ma vie toute entière. Je ne peux pas te faire sourire mais je peux mourir pour toi.
Comment vas-tu ce matin, mon pauvre bien-aimé ? Il faudrait, mon Toto chéri, prendre sur toi et sortir de l’état d’abattement dans lequel tu es plongé. Ce n’est pas toi, mon pauvre père désolé, qui peuxa te rendre compte de toi-même ; mais moi qui te vois un peu tous les jours, je suis effrayée de la dévastation que le chagrin a fait dans toute ta ravissante petite personne. Aussi, mon bien-aimé, je te conjure au nom de tes enfants, je te supplieb pour moi de te ménager, de prendre quelque distraction et de sortir de cette contemplation douloureuse dans laquelle tu t’abîmes. Je t’en supplieb à genoux, mon adoré. Que veux-tu que je devienne si tu tombes malade mon Dieu ? Mon Victor bien-aimé prends pitié de moi, prends pitié de nous tous.
Je te remercie mon Toto chéri de la petite relique que tu m’as apportée hier. Je te remercie pour celle que tu l’as promise et qui me sera encore plus précieuse et plus sacrée. Je me recommande à ma chère petite sainte dans mes prières de tous les jours. Je la prie de faire que tu m’aimes toujours. C’est une petite patronne dans le ciel, c’est d’elle que j’espère la consolation qui doit calmer ton pauvre cœur. Mon Victor bien-aimé pense à moi. Tâche de venir un peu dans la journée et aime-moi. J’ai bien besoin de te voir mon Toto. Je suis arrivée à un moment bien triste et bien pénible de notre vie. Il y a aujourd’hui un mois que nous sommes revenus à Paris et c’est aujourd’hui que je commence à écrire la déchirante histoire des trois derniers jours de notre voyage. Ô tâche de venir mon bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 195-196
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « peut ».
b) « suplie ».


12 octobre [1843], jeudi soir 4 h.

Je pense que tu es allé à l’Académie aujourd’hui, mon Toto, et je m’en réjouis dans l’espoir que cela te donnera une distraction forcée qui te fera sortir de l’état de tristesse accablante dans laquelle tu es plongé depuis notre retour. Il faudra aussi mon cher bien-aimé que tu me conduises chez Mme Marre non as demain parce que c’est vendredi, mais au moins samedi. Nous avons déjà beaucoup tardé.
Comment s’est comporté le réveil-matin aujourd’hui mon Toto ? Ce pauvre Charlot a-t-il encore été réveillé à des heures indues ? Et la fameuse leçon de mathématique, où en est-elle ? Est-elle toujours une leçon de nez de carton [1]  ? Pauvre enfant, cela me fait de la peine pour lui et cependant il n’y a pas moyen de faire autrement.
Que deviens-tu toi, mon adoré, au milieu de tout ça ? Je te crois à l’Académie mais alors à qui penses-tu ? Hélas ! mon cher adoré, je ne le sais que trop et tout ce que j’ose désirer c’est que dans cette pensée si triste mon souvenir t’apparaisse comme une petite veilleuse dans ta nuit. Je voudrais que tu sentes mon amour comme un baumea adoucissant sur la plaie de ton pauvre cœur. Je t’aime mon Victor adoré, jamais je ne te le dirai autant que c’est vrai.
Si tu as eu le courage d’aller à l’Académie, peut-être viendras-tu jusque chez moi en revenant. Cet espoir me donne presque de la joie. Tâche que ce ne soit pas un espoir trompeur, comme j’en ai depuis trop longtemps mon amour. Tâche de venir ne fusse qu’une minute. Je t’aime et je baise tes chers beaux yeux et ta ravissante petite bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 197-198
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « beaume ».

Notes

[1Avoir un nez de carton : être mystifié.

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