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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juin 1860

Jersey, 13 juin 1860, mercredi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour encore plus tendre et plus doux de loin que de près afin de tricher à la distance tout ce qu’elle a de triste et de morose pour deux êtres qui s’aiment comme nous nous aimons. Dans deux heures tu seras dans le Packet [1] et tu te balanceras sur les mêmes vagues que moi hier au soir. Si tes yeux s’y arrêtent et si ta pensée y plongea en songeant à moi tu y retrouveras toutes les tendresses et tous les baisers que mon cœur et mon âme y ont laissé tomber hier pendant la traversée. J’espère que rien ne s’opposera à ce que tu arrives en bonne santé car le temps, mauvais cette nuit, paraît très bon ce matin. J’espère que l’influence du 13 ne se fera pas sentir à aucun d’entre vous et que vous arriverez tous avec une faim dévorante. Quant à moi j’attends ton retour pour reprendre mon appétit qui jusqu’à présent m’a fait complètement défaut quoi qu’on m’ait servi hier un très substantiel dîner. Il n’aurait tenu qu’à moi d’aller déjeuner chez Ch. Asplet ce matin mais il me serait impossible de prendre quelque plaisir loin de toi sous quelque prétexte et avec qui que ce soit. La seule manière pour moi de supporter courageusement ton absence c’est de rester toute seule avec ton cher souvenir et de t’aimer avec une magnétique fixité qui rapprochent mon âme de la tienne. Sois prudent sur le bateau, mon cher adoré, et que Dieu bénisse ta traversée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 143-144
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « plongent ».


Jersey, 13 juin 1860, mercredi soir, 6 h.

Je reviens à l’hôtel, mon pauvre cher bien-aimé, après une station de 7 h. ½ sur la jetée, trop heureuse d’avoir échangé ma douloureuse angoisse contre une active et dévorante impatience qui ne fera qu’augmenter de seconde en seconde jusqu’au moment béni où je te reverrai. Qu’est-il arrivé ? Je n’en sais rien que ce que des cochers de fiacre nous ont crié en quittant la station du quai : « TELEGRAPHIC MESSAGE STEAMER ALDERNEY TOMORROW JERSEYa ». Là-dessus Kesler et Bénézit m’ont forcée à quitter mon poste d’observation que je n’avais pas quitté des yeux et de l’âme depuis 10 h. ½ du matin pour rentrer chez moi d’où je peux voir le mât des signaux de ma fenêtre. Qui m’aurait dit ce matin que je ne te verrais pas aujourd’hui sans en devenir folle d’inquiétude et que même j’en éprouverais une sorte de joie relative. Ah ! C’est que lorsqu’on s’est cru menacé du plus grand malheur pendant cinq ou six heures on n’est pas exigeant après envers le bonheur et on se contente de n’être pas malheureux. Je te dis tout cela, mon pauvre bien-aimé, dans une sorte de transport au cerveau et sans savoir au juste ce qui vient au bout de ma plume. Mais ce que je sais c’est que jamais, au grand jamais je ne te quitterai à moins que ce ne soit pour te [illis.] la joie.
Cette leçon a été cruelle mais elle me servira pour toujours. Pense à moi, mon cher adoré, bénis-moi d’où tu es pour que ma pauvre âme se réjouisse et se rassure complètement. Plus tard, quand nous serons réunis, je te raconterai les choses de la ville. Quant à présent je ne peux te dire qu’une chose, c’est que tu es ma vie, mon cœur, mon âme, ma joie et mon bonheur. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 145-146
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « TELEGRAIPHIQUE MESSAGE STIMEAR ALDERNEY TO MORO JERSEY ».

Notes

[1Le Packet boat transporte les voyageurs et le courrier. 

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