Paris, 28 mai [18]72, mardi matin, 7 h.
Bonjour, mon adorable et adoré bien-aimé. J’espère que tu as bien dormi et toute ta chère maisonnée aussi. Quant à moi je n’ai pas à me vanter de ma nuit, aussi je n’en dis rien et je passe à autre chose de plus gai. Tu seras bien gentil de mettre le comble à ta bonne grâce par un petit mot à l’adresse de ce bon petit ménage si exemplaire et si modeste [1]. Je le ferai prendre par Suzanne quand elle te portera ton déjeuner. En même temps tu lui diras si tu penses à faire une promenade aujourd’hui. Malheureusement les rues et les boulevards sont bien chauds et bien poussiéreux et les environs de Paris trop loin pour y aller à pied. Oh ! qu’il doit faire bon à Guernesey en ce moment-ci et comme un tour de l’île serait doux ! Hélas ! il n’y faut plus songer, c’est fini maintenant. Ta vie domestique, ta vie littéraire, ta vie politique sont ici désormais et je n’entrevois même plus la possibilité d’une courte villégiature dans ce petit oasis qui fut notre paradis si longtemps. Enfin, puisque c’est comme cela, il faut bien s’y résigner. En somme, on aime partout, et moi je t’adore ici comme partout.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 148
Transcription de Guy Rosa