Paris, 16 mai [18]72, jeudi, 2 h. ¾ après midi
J’ai eu la visite de tes deux ravissants petits mioches tantôt, que j’ai comblés d’oranges et de tartines et saturés de baisers : pour toi, pour eux, pour moi, avant de les rendre à leur bonne. Te l’ont-ils dit ? Mais ce qu’ils n’ont pas pu te dire et pour cause, c’est que je t’adore. Heureusement que je ne te le laisse pas oublier, au risque de t’en faire une scie. À propos de scie, voici une lettre de Mme Bénézit pour toi adressée à mon nom. Je ne crois pas utile de te l’envoyer tout de suite puisque tu pourras la lire chez moi dans quelques heures. Je crois qu’il s’agit de demander à L. Blanc une lettre de recommandation pour son gendre musicien qui va à Londres. Autre guitare, M. Bochet m’a fait demander par Mme Charles la permission de venir dîner ce soir. Mais j’ai fait dire à Mme Charles que nous étions déjà onze personnes, c’est-à-dire tout près du chiffre treize et qu’elle serait bien aimable de prendre avec M. Bochet un autre jour moins surchargé. Ai-je bien fait, mon maître ? Une chose BIEN FAITE par exemple, c’est ton admirable lettre au Peuple souverain [1]. C’est sublime et divin d’un bout à l’autre. Dieu lui-même ne pourrait rien dire de plus beau, de plus grand, de plus charitable, de plus doux, de plus généreux et de plus pratique. Je t’admire comme je t’aime, agenouillée devant ta pensée.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 136
Transcription de Guy Rosa