Guernesey, 9 juillet, [18]70, samedi matin, 5 h.
J’espère, mon grand bien-aimé, que tu dors encore et que tout dort chez toi comme on dort chez moi en ce moment, moi seule exceptée. Je ne m’en plains pas autrement puisque je ne souffre pas et même je m’en loue puisque cela va me permettre de lire le nouvel article de ton Charles tranquillement [1]. Je m’en délecte déjà rien que d’y penser. Je ne sais pas si nous pourrons faire notre promenade aujourd’hui car le temps me semble bien malade. Peut-être [y] aura-t-il un bon moment d’ici à quatre heures, espérons le et attendons. Ne t’inquiète pas de mes rapports avec Mme Engelson, ils seront ce qu’ils doivent être, la réserve étant donnée [2]. Ce qui m’inquiète, moi, c’est l’hostilité de plus en plus déclarée de Mme Chenay contre la pauvre Mariette. Je crains que cela n’aboutisse à quelque éclat pendant la présence de tes enfants [3]. Déjà le choix d’une nouvelle cuisinière, non consenti par elle, a paru la contrarier beaucoup hier quand tu le lui as annoncé, ce qui ne promet pas poires mollesa [4] à la susdite cuisinière, surtout si elle défend son garde-manger contre Sénat [5]. Heureusement que tu es d’une patience à toute épreuve, espérons que tout le monde suivra ton exemple et que tout marchera sur des roulettes. Moi je suis sûre de mon cœur qui t’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 187
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « poire molle ».