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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 août [1839], lundi matin, 10 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé. Bonjour mon petit homme. Comment vas-tu ? Comment vont tes yeux ? Comment va ton cœur, car je ne peux pas me figurer que tu m’aimes quand tu penses d’aussi vilaines choses de moi ? Je suis très souffrante ce matin. Je ne peux ni marcher ni me tenir assise. J’ai des douleurs de reins et de la matrice qui me feraient presque crier. Aussitôt que j’éprouve une vive contrariété, je ressens tout de suite des douleurs à cet endroit-là. Ce matin je souffre véritablement, et si ça ne se calme pas je prendrai un bain. S’il en passe, je le prendrai même tout de suite. Mais je pense, mon cher bien-aimé, à te dire que je n’ai reçu que 50 francs hier au lieu de 55 francs comme tu me l’as dit. C’est que tu t’es trompé. Et puis comme c’est aujourd’hui le blanchisseur, et qu’on a achetéa une voie de charbon [1] ce matin, il ne me reste plus que 24 fr 10 – ainsi de toute façon je ne peux pas envoyer les 30 francs à Jourdain. 10 francs à la bonne hier, au blanchisseur : 6 francs et pour le charbonnier : 9 francs, total : 25 francs ; reste : 24 fr 10, mais j’ai donné 3 sous à la bonne hier et 7 sous à toi, ce qui fait bien les 50 francs. Je te rends ce compte pour que tu voies bien que tu ne m’as donné que 50 francs et pour que ton inquiétude ne se réveille pas à ce sujet. Dieu que je souffre. Je ne peux pas me tenir. Je vais envoyer le premier bain venu, je ne peux pas aller ainsi. Baise-moi mon cher petit homme, aime-moi et ne me crois pas capable de te tromper car c’est bien vrai. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 219-220
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « on acheté ».


12 août [1839], lundi soir, 6 h. ¼

Malade, maussade, chagrine et irritable, voilà l’état dans lequel je me trouve aujourd’hui. À quoi attribuer cette disposition de corps et d’esprit, je le saurais bien si je voulais m’avouer que ta constante et injuste jalousie en est la cause. Mais à quoi bon s’avouer ces méchantes choses-là ? J’aime mieux m’efforcer de [crier  ?] que je suis une pauvre folle malade de je ne sais quoi. C’est beaucoup plus simple et tout aussi satisfaisant. Je suis tellement abrutie qu’il m’est impossible de me rappeler quoi que ce soit excepté ce qui touche à notre amour. Aussi depuis hier j’avais tout à fait oubliéa l’argent que j’avais donné à la bonne. Dans les 20 francs de Mignon, je comptais les 5 francs de la dépense. Bref, je suis absurde. Et si je n’ai pas eu de scène tantôt c’est que le bon Dieu a eu pitié de moi, car j’avoue qu’il y avait de quoi en faire au moins TROIS pour un esprit aussi scrupuleux que le tien. Enfin j’en ai été quitte pour la peur. Mais la journée n’est pas encore passée. Et puis il sera encore temps dans trois semaines de reprendre ce petit chapitre et de récolter la petite graine de maïs que j’ai laisséeb choirc de mon bissac par préoccupationd et par oubli. Je suis triste. Je souffre. Je t’ennuie, je le sens, mais je ne peux pas m’en empêcher. Un jour, tout cela finira bien je l’espère, malheureusement ni toi ni moi ne savons quand ni comment. En attendant je t’aime et je crois que je suis heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 221-222
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « oublier ».
b) « laissé ».
c) « cheoir ».
d) « préocupation ».

Notes

[1Voie de charbon : sac contenant un hectolitre.

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