Guernesey, 15 novembre 1860, jeudi soir, 5 h. ¼
J’ai beau faire, mon cher bien-aimé, je ne parviens pas à mettre mes pattes de mouche au galop dès le matin. Et cependant Dieu sait si je t’aime et si j’ai besoin de te le dire sous toutes les formes et à tous les instants de ma vie. Heureusement que s’il n’est jamais assez tôt pour te dire mon amour, il n’est jamais trop tard, pour la même raison, pour te donner toutes les tendresses accumulées en mon cœur tout un grand jour. Donc, mon cher petit homme, je vous baise depuis A jusqu’à Z et dans toutes les langues dans lesquellesa le mot : JE T’AIME peut se trouver. J’espère que nous allons avoir une bonne petite soirée sans malentendu d’aucune sorte et que Suzanne aura l’attention délicate de ne pas mettre son rosbif au four. Je compte tellement sur le perfectionnement de l’art CULINANTROPHAGIE que je me fais mijoter un bon petit canard que le CONSTITUTIONNEL [1] lui-même m’envierait. Donc il y en aura pour tous les goûts depuis le bœuf cru jusqu’au canard rissoléb. En attendant, je désire que ta pauvre gorge ne te fasse plus de mal, que tu ne souffres de nullec part, que tu aies bon appétit, que tu sois très geai, que tu m’aimes et que nous soyons bien heureux. J’espère qu’aucun de ses souhaits ne me fera défaut et pour y aider je t’aime de tout mon cœur et de toute mon âme.
J.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 294
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « lequel ».
b) « rissoler ».
c) « nul ».