9 novembre 1860

Guernesey, 9 novembre 1860, vendredi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher adoré ; bonjour le plus tendre, le plus limpide, le plus honnête, le plus doux et le plus ardent, bonjour. Mais qu’est-ce qu’il y a donc eu entre nous hier, mon pauvre trop aimé ? Je ne l’ai pas compris, mais il est certain pour moi qu’un nuage a passé entre nous deux qui a couvert d’ombre mon bonheur presque toute la soirée. Il est triste, pour ne pas dire plus, que mon pauvre petit moment de joie hebdomadaire soit le plus souvent soumis à des caprices de ton imagination. Caprices dont je n’ai pas la clef et que je ne peux par conséquent pas empêcher. Il serait pourtant bientôt temps de jouir en paix de notre pauvre amour et d’en constater la longévité pour notre propre respect et notre propre vénération envers lui-même au lieu de le déchirer et de l’humilier par des soupçons flétrissants et qui nous couvriraient de ridicule^a si quelqu’un pouvait jamais les deviner. Je te dis tout cela, mon cher adoré, non pour te faire un reproche de ta singulière attitude vis-à-vis de moi hier puisqu’enfin tu as fini par en reconnaître l’absurdité au moment de me quitter, mais pour te dire que je t’aime dans la vertu, dans l’honneur, dans la vénération et l’admiration et l’adoration de tout mon être comme si j’étais la plus jeune, la plus belle et la plus splendide créature qu’il y ait au monde. Sans oublier pour cela vis-à-vis des autres hommes que je suis une bonne vieille femme qui n’a plus droit qu’à leur estime et à leur respect. Ceci dit mon adoré bien-aimé je te souris et je te baise de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 289
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « ridicules ».