Guernesey, 5 août 1860, dimanche matin, 8 h. ½
Bonjour, mon pauvre bien-aimé. Bonjour. Je devrais m’en tenir à ce bonjour qui contient tout mon cœur mais je crains que tu ne prennes ce tendre et triste laconisme pour de la mauvaise humeur et de la bouderie. C’est pourquoi je continue à gribouiller devant moi à mes risques et périls car je ne suis pas plus habile à me justifier avec la plume qu’avec la langue. Je n’y essayerai même pas et je trouve plus court de te demander pardon pour toi et pour moi et puis je crains que tu n’aies passé une mauvaise nuit et cette pensée prédomine toutes les autres en ce moment. Comment vas-tu, mon pauvre cher bien-aimé ? Tu viens d’ouvrir ta fenêtre mais cela ne me dis pas si tu as bien dormi et si tu ne souffres de rien et de nulle part. J’espère que je te verrai tout à l’heure et je me regarderai comme pardonnée si tu as passé une bonne nuit. En attendant, la pluie, la pluie maussade et désagréable tombe fine et serrée et intercepte le jour et le soleil comme une méchante et une jalouse qu’elle est. Tout cela n’est pas fait pour me rendre ma gaieté ni me redonner la paix de cœur. Il n’y a que ton sourire, il n’y a que ton baiser, mon cher bien-aimé, qui puisse faire la joie et le calme dans mon âme. Hâte-toi de me les apporter. Jusque là je t’aime les yeux pleins de larmes et le cœur plein du regret de t’avoir affligé hier [1].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 205
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette