Guernesey, 1er novembre [18]65, mercredi matin, 8 h.
Bonjour mon cher adoré bien aimé, bonjour dans la suprême joie de la réorganisationa de ma restitus, c’est-à-dire dans la fonction normale de mon amour. Voilà quatre longs mois que toutes mes douces habitudes quotidiennes étaient dépaysées [1]. Aujourd’hui elles ont repris terre et langue et voilà que mon cœur babille et que mon âme s’agite comme au bon temps de notre jeunesse. Tout cela va, vient, courtb, vole à toi sans paix ni trêve dans tout l’épanouissement de mon bonheur.
J’espère que tu as passé une very good nuit, pas à l’instar de la mienne qui a été d’une entière blancheur mais sans aucune souffrance comme tu peux le voir par ma gaîté matinale. Toutes mes servardes [2] sont à la messe, je suis seule avec ta pensée et le soleil en tiers, ce qui ne gâte rien. Dès que mes gentes seront revenues de leur boui-boui, je prendrai un bain dont j’ai grand besoin. Demain, je reprends mon emploi de cafetière en chef et sans partage avec l’ambition de me faire goûter de plus en plus par vous, mon cher petit gourmet de [illis.]. Je n’ai pas pu te débagouler hier tout le margouillis Kesler-Marquand. Que tout ce gâchis ne finisse pas par quelque grosse incartade anglo-guernesiaise qui nous force à sortir malgré nous de notre passivité bienveillante et conciliante pour les deux partis. Du reste, tu en jugeras mieux que moi une fois que tu auras entendu le récit de la friction présente. En attendant, je crains que ton fils Victor ne m’en veuille de n’avoir pas remis tout de suite son livre à Marquand, comme il m’en avait priée, et cela me tourmente [3]. Mais mon premier devoir étant de t’obéir, je me résigne d’avance de son mécontentement très juste dans le fond et [illis.]
BnF, Mss, NAF 16386, f. 162
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « réoganisation ».
b) « cour ».