Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Mars > 24

24 mars 1842

24 mars [1842], jeudi matin, 10 h.

Bonjour méchant homme. Bonjour affreux bonhomme. Vous mériteriez que je ne vous dise plus rien et que je vous plante là au beau milieu de la page pour reverdie [1]. Vous ne voulez donc plus venir du tout ? Vous ne pouvez donc plus me sentir [2] ? Si j’en étais bien sûre là de CES PREUVES je vous flanquerais une trempée soignée. Et je vous tuerais par-dessus le marché. Voyons, répondez, pourquoi ne venez-vous plus jamais le matin, méchant gueux ? Vous vous couchez cependant bien un peu tous les jours ? Pourquoi ne pas me donner de temps en temps votre pratique ? Est-ce que mon lit n’est pas aussi bon que le vôtre ? Enfin répondez scélérat ou plutôt taisez-vous et venez, ce sera la meilleure, la plus rassurante et la plus charmante réponse que vous puissiez me faire.
Mon Toto chéri, je t’aime pourtant autant et plus qu’autrefois. Mes yeux, ma pensée, mon cœur, mon âme sont toujours tournés vers toi et cependant tu as l’air de ne plus m’aimer du tout de ce bon amour tendre, empressé, ardent d’il y a neuf ans. Est-ce que tu ne m’aimes plus, mon Dieu ? Les craintes que je te manifeste en riant sont pleines d’angoisses et de doutes mon adoré et je donnerais la moitié de ce qui me reste à vivre pour être bien sûre que tu m’aimes toujours comme autrefois. Si je me trompe, mon Toto, pardonne-moi, car ce n’est que par excès d’amour.
Baise-moi mon chéri bien aimé et viens bien vite me consoler. Je t’embrasserai bien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 193-194
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette


24 mars [1842], jeudi soir, 4 h. ½

Voici enfin cette affreuse opération terminée ! Ce serait assez satisfaisant n’étaient les diverses brûlures que j’ai autour de la tête. C’est une petite expérience que je ne regrette pas puisqu’elle m’a économisé 15 F. Seulement j’ai peur que toutes ces peignasseries ne te dégoûtent de moi [3]. Si cela était mon adoré, il faudrait me le dire bien vite et j’y renoncerais plus vite encore, car avant tout je ne veux pas te déplaire, mais je suis capable de tout au monde pour le contraire. Baise-moi mon adoré et aime-moi. Je t’aime moi comme les anges aiment le bon Dieu et encore mieux, car je t’aime comme une femme aime son amant avec le corps et l’âme. C’est bien bien vrai mon adoré. Si tu pouvais voir mon cœur, tu verrais que je te dis moins encore que ce qui est.
Jour Toto. Je me serais bien passée de l’incident [4] d’aujourd’hui, moi qui comptaisa tant vous voir la nuit prochaine. Vous allez profiter de cela pour ne pas venir. Je vous connais bien, allez. Vous mériteriez que je vous donne des coups depuis le matin jusqu’au soir si je vous avais sous la main. Ne vous AVANT [5] pas, je vous aime comme une bête que je suis. Cette pauvre Clarinette est bien attrapée. Elle croyait sortir aujourd’hui. Elle espérait voir son archevêque et entendre un sermon et par-dessus tout ça jouer des jambes à l’air et au soleil ; et pas du tout : Mlle Hureau a fait faux bondb. Ce qui fait qu’elle reste avec Madame sa mère, plaisir assez monotone lorsqu’on le savoure depuis près de trois mois [6]. C’est là ma faute, je m’en lave les pieds. Baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 195-196
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « comptait ».
b) « bon ». 

Notes

[1Poésie lyrique du Moyen-Âge célébrant le renouveau printanier et les sentiments de gaité qui lui sont associés. Dans ce cas, la reverdie signifie un retournement de situation.

[2Victor Hugo n’est pas revenu voir Juliette depuis le mardi 22.

[3Depuis le 20 mars, Juliette fait mention dans sa correspondance d’une opération qu’elle doit effectuer sur ses cheveux. Depuis l’apparition de ses premiers cheveux blancs, elle met tout en œuvre pour dissimuler les premiers signes de vieillissement et prend ainsi grand soin de sa chevelure. La nature des soins reste à identifier. La veille, un coiffeur du nom de M. Mailly prenait en charge sa mise en beauté : elle a eu le sentiment de se faire arnaquer et elle a décidé de se coiffer elle-même, faisant ainsi des économies.

[4Ses règles. La mention de ses cycles est une manière de reprocher à Hugo son manque d’investissement dans leurs relations intimes dernièrement et de réclamer un changement avant la prochaine période d’indisposition.

[5« Ne vous ayant pas ».

[6Claire Pradier, qui depuis 1836 est en pension dans un établissement de Saint-Mandé, vit actuellement chez sa mère depuis le mois de janvier et ne sera de nouveau admise dans son pensionnant qu’au mois de mai. Elle occupe ses journées à dessiner, faire des sorties avec Mlle ou aller à l’église.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne