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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1842

16 mars [1842], mercredi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien aimé, je t’aime et toi ? Comment vas-tu mon amour ? Moi j’ai passé une bonne nuit entremêlée de coliques sans résultat, mais du reste je vais bien [1]. Il fait un soleil éblouissant et je serais la plus heureuse des femmes si j’étais sur quelque grande route avec toi dans ce moment-ci. Je suis très peu ambitieuse dans mes désirs, comme tu vois je souhaite tout bonnement l’impossible. Aussi je n’aurai rien, ni le possible ni l’impossible ; et c’est ainsi que depuis bientôt deux ans les minutes, les heures, les jours, les mois et les années se suivent et se ressemblent parfaitement : toujours RIEN [2]. C’est peu de choses mais ça n’est pas assez, je le sens plus que jamais. Mais parlons d’autre chose, car je sais que mes plaintes te fatiguent et t’ennuient même quand elles n’expriment que l’amour le plus ardent et le plus tendre. Je ne veux pas te fâcher, je peux vivre sans bonheur mais je ne peux pas vivre sans toi. Embrasse-moi Toto et pardonne moi de ne savoir pas me résigner toujours. Quand tu viendras il n’y paraîtra plus. Tu verras, je serai bien douce et bien calme. Je t’embrasserai de toute mon âme, trop heureuse de te voir une minute. C’est toi qui es mon soleil, mon ciel, ma vie et ma joie.
Je vais me lever tout à l’heure et je ferai mes petites affaires si je sens que cela n’est pas au-dessus de mes forces et puis je coudrai tantôt. Voilà mon programme sur l’emploi de mon temps. Quant à l’emploi de mes pensées et à l’occupation de mon cœur, vous les devinez sans que je vous le dise, n’est-ce pas mon adoré ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 165-166
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette


16 mars [1842], mercredi après-midi, 3 h. ¼

Je te demande pardon mon cher petit homme, j’ai été bête et absurde tantôt quoique je me sois bien promis ce matin de ne pas l’être, mais la mauvaise nature l’emporte souvent sur la meilleure résolution, c’est ce qui m’arrive à moi plus qu’à d’autre. Enfin c’est fini maintenant, je sens que j’ai pris le dessus et que je ne serai plus ridiculement désespérée comme tout à l’heure. Tu peux venir mon Toto chéri, tu me trouveras gaie et de bonne humeur et surtout t’aimant de toute mon âme comme je ne cesse jamais de le faire.
Depuis que tu es parti, j’ai tâché de me faire belle, ce qui n’est pas une petite affaire, j’ai lavé et relaveras-tu mes yeux rouges qui te déplaisaient tant. Depuis une heure je travaille après mes chemises de flanelle pendant que Claire fait le portrait de Jacquot qui ne s’y prête pas beaucoup [3]. Enfin je fais ce que je peux moi-même pour être une Juju supportable, j’ai bien peur de ne pas réussir. Qu’ena dites-vous mon Toto ? Soyez franc. En attendant votre réponse, je ferai comme si elle était bonne, je vous aime et je suis GAIE. Je suis toujours toute seule comme ce pauvre caniche abandonné, c’est à qui de celles que je connais ne me donnera pas signe de vie [4]. Je comprends cela et j’en ferais tout autant probablement à leur place. Du reste, comme je me porte très bien, je donnerai décidément le congé demain au sieur Triger. Je ne trouve pas d’argent plus bêtement jeté par la fenêtre que celui qu’on donne à un médecin inutile [5]. Aussi, demain, je le flanque à la porte avec tous les égards qui lui sont dus et puis je vous aime de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 167-168
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « Quand ». 

Notes

[1Juliette, qui a été malade au mois de février et est entrée en convalescence début mars, finit enfin de se rétablir.

[2Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. L’année précédente, le poète était trop occupé à la rédaction de son ouvrage Le Rhin et leur voyage annuel n’a pas eu lieu. Cette année, le voyage sera de nouveau annulé.

[3Claire Pradier, qui depuis 1836 est en pension dans un établissement de Saint-Mandé, vit actuellement chez sa mère depuis le mois de janvier et ne sera de nouveau admise dans son pensionnant qu’au mois de mai. Elle occupe ses journées à dessiner, faire des sorties avec Mlle Hureau ou aller à l’église.

[4Juliette reçoit normalement régulièrement la visite de ses amies Mme Franque et Mme Pierceau.

[5Juliette a été malade au mois de février et est entrée en convalescence début mars. Le congé du docteur Triger vient du fait qu’elle est à la fin de son rétablissement et qu’elle se défie des médecins.

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