Guernesey, 7 avril [18]68a, mardi matin, 6 h. ½
Comment la nuit, mon cher bien-aimé ? Bonne, très bonne, n’est-ce pas ? La mienne aussi ; puis je sens que mon nez perd du terrain et mon rhume aussi. Déjà je commence à crachoterb, ce qui est un signe que le rhume, dit de cerveau, diminue. Pour peu que cela aille bon train, je pourrai, je l’espère, me risquer à baiser les bouts de tes quatre pattes d’ici à deux ou trois jours sans te donner la grippe ou quelqu’un de son auguste famille. En attendant, je garde toutes mes tendresses au lazaret [1] de mon cœur et ne les en laisserai sortir qu’à bon escient. Dites donc, MÔSIEUR, vous me devez deux liards. J’attends le récit de Mme Chenay sur la représentation des Misérables [2]. Peut-être cela a-t-il été très bien. Je le souhaite sans oser y croire beaucoup. Enfin nous aurons le feuilleton de Mme Chenay qui nous renseignera tant bien que mal sur cette soirée mémorable. Je crois que je peux reprendre la collation tantôt à moins que tu n’aies pas encore assez de confiance en moi pour cela. Moi ? je t’adore sans permission.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 99
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « Guernesey, 7 mars 68 ». « Avril » a été rajouté sur le manuscrit d’une autre main que celle de Juliette.
b) « crachotter ».