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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1840], vendredi midi

Bonjour mon petit homme chéri, bonjour mon amour, bonjour mon pauvre adoré. Je ne me plains pas, quoique ce ne soit pas l’envie ni le besoin qui me manquent, de ce que tu n’es pas venu cette nuit car je sais que tu travailles comme un pauvre dératé, je t’aime plus que jamais, voilà tout. Tu m’as fait bien du chagrin hier, mon cher adoré, je ne t’en veux pas mais j’en souffre dans mon cœur. J’ai l’âme pleine de découragement et d’amertume je voudrais être morte pour échapper enfin à cette infamie périodique que tu me jettesa à la figure sans que rien puisse t’arrêter ni amour, ni dévouement, ni abnégation de toute chose en ce monde. Je te pardonne, mon adoré, mais je souffre.
Tu ne viens presque plus du tout me voir. Il y a dans ta conduite envers moi autant de refroidissement que dans l’atmosphère cependant cela ne tient probablement pas à la même cause ? Tu devrais sentir, mon bien-aimé, qu’après ce qui s’est passé de triste entre nous hier j’aurais besoin de beaucoup d’amour pour panser cette blessure. Peut-être m’aimes-tu moins ? Il y a des moments où je crois que tu ne m’aimes plus du tout. Je suis donc dans ceux-là ce matin, c’est ce qui fait que je suis si abattue et si démoralisée. Je donnerais ma vie pour beaucoup moins qu’un liard, je souffre et je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 247-248
Transcription de Chantal Brière

a) « jette ».


18 décembre [1840], vendredi soir, 7 h.

J’ai passé tout mon temps depuis que tu es parti jusqu’à présent, mon adoré, à me raccommoder. Je viens de finir heureusement car mes pauvres yeux commencent à en avoir assez. Je suis dans ma chambre en chemise auprès du feu qui ne veut pas s’allumer. Heureusement qu’il ne fait pas aussi froid qu’hier. Je viens de m’apercevoir en tournant ma page que j’avais déchiréa la feuille double, je t’en avertis afin que tu ne t’ébouriffes pas si tu trouves cette feuille pliée dans mon buvard comme un poulet prêt à mettre en broche. Hélas ! toutes ces précautions n’empêchent pas que tu m’affliges injustement et bien souvent. Quand donc viendrez-vous déjeuner avec moi ? Je dis déjeuner sans arrière-pensée car je suis dans un état peu glorieux dans ce moment-ci. J’attribue cela au violent exercice que j’ai pris le jour de l’entrée de Napoléon [1], j’ai si peu l’habitude de marcher et de prendre l’air que lorsque cela m’arrive toute ma pauvre machine se dérange. Mais enfin il ne faut pas qu’ilb soit dit que vous ne pouvez pas venir une seule et unique fois rien que pour le bonheur particulier de votre vieille Juju. Je vous attends donc cette nuit, mon adoré, tâchez que ce ne soit pas en vain que j’aie compté sur votre généreux désintéressement. Je t’aime mon Victor, je voudrais te voir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 249-250
Transcription de Chantal Brière

a) « déchirée ».
b) « qui ».


18 décembre [1840], samedi soir, 9 h. ¾

Voici bientôt l’heure du rendez-vous écoulée, mon cher petit blagueur, je n’ai pas besoin de vous dire que je ne crois pas à votre promesse mais vous avez été si mince, si jeune et si charmant tantôt que je n’ai pas le courage de vous en vouloir. Je ne peux pas assez vous dire à quel point vous étiez ravissant mais la mère Lanvin en est convenue comme moi. À propos de la mère Lanvin elle est dans le délire et je la comprends. Je comprends aussi qu’elle n’ait pas voulu ajourner d’une minute de bonheur d’avoir votre sublime petit livre [2], à sa place j’en aurais fait tout autant et j’aurais préféré un grand bonheur tout de suite que deux grands bonheurs plus tard. Je suis pour le proverbe qui dit : un bon tiens vaut mieux que deux tu auras. J’avais commencé ce matin à copier les fameuses notes [3], la présence de Mme Lanvin m’a empêchée de continuer mais je vais m’y remettre dare-darea en attendant que vous veniez me CHERCHERb. Ia ia, Monsire, Matame, il est son sarme. OUI file ? Heim ??? Je me regarderaic comme non FLOUÉE si vous venez cette nuit me réchauffer. On n’est pas plus raisonnable, j’espère ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 251-252
Transcription de Chantal Brière

a) « dard dard ».
b) Le mot en majuscules occupe toute la ligne.
c) « regardera ».

Notes

[1Le 15 décembre a eu lieu la cérémonie du retour des cendres de l’empereur à laquelle Juliette a assisté aux côtés de Victor Hugo.

[2Il s’agit de la brochure qui contient le poème « Le Retour de l’Empereur ».

[3« Funérailles de l’Empereur /Notes prises sur place » décrivent le déroulement du cortège et l’atmosphère de la cérémonie (Massin, tome VI, p. 1297-1306).

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