Guernesey, 12 décembre 1868, samedi matin, 7 h. ¾
Cher adoré, j’ai très bien dormi. J’espère que de ton côté tu as eu le bon esprit d’en faire autant, ce qui m’est encore plus agréable. Le premier pet du soleil ce matin n’annonce rien de bon pour le reste de la journée, car le ciel me paraît aussi diafoirique en ce moment que le pauvre citoyen depuis trois jours. On dirait que le bon Dieu essaye de pasticher un de tes beaux dessins en renversant sa bouteille à l’encre dans son soleil. C’est assez bien réussi comme plagiat mais il lui manque le beau sonnet de Paul Meurice [1], attrapéa ! Cela me fait penser au surcroît de travail que va te donner la fin de l’année par l’habitude terrible pour toi autant que charmante pour ceux que tu favorisesb de tes splendides dessins au jour de l’an, et cela m’inquiète et m’attriste car je crains toujours que tu ne finissesc par succomber sous le nombre des tâches qui vont en augmentant chaque jourd. Jacob ne luttait qu’avec l’ange [2]. Je crains que tu luttes avec Jéhovah. J’appellee à la rescousse le ban et l’arrière-ban de nos chères âmes pour t’aider, pour te défendre, puisque je ne peux rien ici-bas que t’aimer de tout mon cœur comme un vieux chien.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 340
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « attrappé ».
b) « tu favorise ».
c) « tu ne finisse ».
d) « chaque jours ».
e) « j’appelles ».