Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Novembre > 12

Jersey, 12 novembre 1852, vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon doux adoré, bonjour. Hélas, mes espérances de demain matin sont déjà à vau-l’eaua, car le fameux brick a été lancé hier au soir à 6 h. Je n’ai pas beaucoup compris la malice de ce prompt dénouement surtout après l’avis inséré dans LES PAPIERS. À moins que ce ne soit tout exprès pour me faire venir Gorey [1] à la bouche comme si j’avais besoin de ce stimulant et pour ajouter une mystification à toutes celles qui enguirlandent mon existence. Tout cela est bien profond pour de simples Jersiais à fleur d’eau. Il est plus probable que ce changement de programme ait tenu à l’impatience du gros monsieur blanc de tremper sa bedaine dans l’onde amère. Grand bien lui fasse et que les Minquiers [2] lui soient propices et les vents légers. C’est tout ce que je peux désirer pour lui sans la moindre rancune. Maintenant, mon amour, voilà notre déjeuner échoué jusqu’à l’année prochaine. D’ici là les huîtres auront eu le temps de rassir à la constitution de M. Bonaparte et de prendre place dans les bancs du Sénat présidé par l’Auguste [3] Napoléon III. Mais qu’à cela ne tienne, je remplacerai très bien les huîtres transfuges par le rosbif et les côtelettesb de la perfide Albion [4]. Mon « saucialisme » s’arrangera très volontiers de cette substitution. Pourvu que je dévore un peu de bonheur pue m’importe quelle forme il prend. J’ai un appétit féroce qui me fait tout avaler avec cet admirable assaisonnement : le plaisir de le manger avec vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 155-156
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « vaux l’eau ».
b) « cottellettes ».


Jersey, 12 novembre 1852, vendredi après-midi, 4 h. ½

Je ne grogne pas mon bien-aimé, seulement je ne peux pas m’empêcher de regretter toutes les occasions d’être avec toi. Celle-ci en aurait été une toute naturelle, si au lieu d’être une pauvre femme qui t’aime courageusement dans son coin, j’étais une grande dame qui fait montre et parade de ses relations avec toi. Ceci-dit, mon cher adoré, je trouve tout simple que tu prennes des distractions et du plaisir aux choses qui t’intéressent et te plaisent. Pauvre piocheur sublime, c’est bien le moins que tu te reposes de temps en temps, l’esprit et le corps. Va donc, mon pauvre adoré, et amuse-toi bien. Je te souris de l’âme et je t’aime de toutes les forces de mon cœur. Tâche de revenir dès que tu le pourras sans diminuer ton plaisir et rogner en rien la séance qui t’intéresse. Je t’attends avec patience car je te sais heureux avec ton Charles. Je n’ai pas oublié la délicieuse petite promenade de Saint-Aubin ni celles de Plémont et de Gorey. Aussi, mon cher petit homme, je n’ai juste que le regret inévitable de ne pouvoir pas être avec toi de TOUT et PARTOUT. Mais sans amertume, je t’assure, pourvu que je sente que tu m’aimes.
Et que j’espère te voir bientôt, je suis heureuse et patiente. Et puis je te reconduirai ce soir, c’est mon plus doux privilège et j’y tiens par-dessus tout. Mon Victor, je t’aime comme mon amant bien-aimé et comme mon fils.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 157-158
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Gorey : cf. la lettre du 1er novembre 1852, lundi matin 8 h., note 2.

[2Archipel des Minquiers situé entre Saint-Malo et l’île de Jersey.

[3Dans son discours contre la révision de la constitution prononcé le 17 juillet 1851, Hugo avait comparé Napoléon-le-Grand à Napoléon-le-Petit comme Auguste à Augustule.

[4L’Angleterre.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne