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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juillet 1851, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bien aimé, bonjour, je t’aime et toi ? Ne me réponds pas maintenant. Attends, pour être plus sûr de ne pas te tromper toi-même, que le tumulte de cette affaire la révision soit fini [1] pour bien te rendre compte de l’état de ton cœur. Jusque-là, mon Victor, je ne me regarde que comme dépositaire de ta tranquillitéa et de ton amour, prête à te les rendre à la première sommation que tu me feras. Autant je serai heureuse et fière de ta préférence dans le choix que tu auras à faire une fois rentré en toi-même, autant je serais désespérée et humiliée de te coûter un regret et de m’imposer à toi. C’est pour nous épargner à tous les deux l’embarras d’une méprise involontaire et la confusion d’une confiance irréfléchie que je n’ai pas pris au mot ta généreuse pitié dans le moment oùb elle devait nous faire à tous les deux l’illusion de l’amour.
Tu as, pour t’assurer du véritable état de ton cœur, plusieurs épreuves successives à passer ; jusqu’à ce qu’elles aient eu lieu, il ne nous est pas permis de nous donner et de nous accepter réciproquement l’un l’autre en toute sincérité et définitivement1. Quant à moi, mon bien aimé, dont le cœur est libre de toutec hypothèque et dont la vie ne tient à rien en ce monde dès que tu ne m’aimes plus, ou que tu m’aimes avec une autre, ce qui est encore pire, j’en fais d’avance et avec joie le sacrifice dans l’intérêt de ton bonheur qui a été, qui est [et] sera toujours mon premier besoin. Sois heureux n’importe avec qui, n’importe comment, c’est tout ce que je demande au bon Dieu. Pour que tu arrives plus sûrement à ce but je te laisse toute liberté et je désire t’inspirer toute confiance. Je voudrais pour mieux te convaincre de la sainteté et du désintéressement de mon amour être déjà morte pour que tu n’aies plus à te soucier des misérables douleurs que je peux encore ressentir dans ma chair et la moelled de mes os.

Juliette

Bibliothèque Romain Gary, Ms. 887 (5)
Transcription de Marion Lemaire

a) « tranquilité »
b) « ou »
c) « tous »
d) « moëlle »


12 juillet 1851, samedi matin, 11 h.

Toujours cet affreux temps, mon pauvre bien-aimé, toujours le froid et toujours la pluie, c’est désolant. L’horizon du bon Dieu est aussi maussade et aussi nébuleux que celui de la politique et leur température respective à tous les deux est aussi contraire à la santé l’une que l’autre. Comment faire pour les éviter ? C’est ce que je ne sais pas, surtout avec les scrupules que tu te crées sous prétexte de devoir et de dévouement pour les hommes et des choses de ce pays. Je t’avoue que s’il dépendait de moi de te rendre indifférent à tout ce qui se passe je n’y manquerais pas, pour ta santé d’abord qui passe avant tous les patriotismesa de l’univers, et par dégoût de ces misérables crétins qui font passer leur vaniteux amour-propre et la gloriole du bavardage avant le bien général et la tranquillité publique. C’est honteux. Malheureusement je ne peux rien ni sur toi, ni sur eux, ni sur rien. Je ne peux que me tourmenter beaucoup et m’indigner autant, ce qui me constitue en état d’agacement et de rage permanent qui n’est pas très amusant ni même très drôle. Ce n’est pas une raison pourtant pour t’ennuyerb de mes fastidieuses réflexions. Il serait plus juste et plus adroit de te les cacher et de te montrer un sourire résigné au lieu d’une grimace de colère. Pauvre cher bien-aimé, peut-être cela me serait-il plus facile si je t’aimais moins. Cependant je veux y essayer tout de suite pour te montrer ma bonne volonté. Je te souris, je t’aime, quel bonheur !

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 113-114
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « tout les patriottismes ».
b) « ennuier ».

Notes

[1Victor Hugo participe à la fronde parlementaire contre le projet de révision de la constitution qui autoriserait Louis-Napoléon Bonaparte à postuler pour un second mandat à la présidence de la République. Il prépare le discours qu’il prononcera à la Chambre le 17 juillet 1851 (au cours duquel il lancera sa fameuse invective contre « Napoléon-le-Petit ».

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