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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 2 septembre 1852, jeudi matin

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour. Je t’envoie ce bonjour un peu au hasard du cadran solaire car je n’ai pas de montre. La mienne est chez l’horloger. Le verre qu’il y avait mis étant trop petit et ne tenant pas, j’ai dû la lui reporter hier. Mais je n’ai pas besoin des rayons du soleil et des aiguilles d’une montre pour savoir qu’il est toujours l’heure de t’aimer dans mon cœur. Je te remercie, mon bon petit homme d’être venu hier au soir, car outre que la journée m’avait parue bien longue et bien triste, je ne m’expliquais pas bien pourquoi vous n’aviez pas repris le même chemin pour rentrer chez vous et malgré moi j’avais une sourde inquiétude que ta présence a dissipée heureusement. Cependant, mon bien-aimé, j’ai cru remarquer que tu paraissais fatigué et même un peu triste. Si c’est à cause de moi j’en serai bien malheureuse. C’est bien assez que je ne puisse pas partager aucun de tes plaisirs et de tes joies sans t’en faire un souci et un remords. Si cela était, mon pauvre bien-aimé, tu en viendrais bien vite à me détester, ce que je veux éviter à tout prix. Je me sens tous les courages excepté celui d’affliger ta vie et de peser sur elle douloureusement. Chaque fois que j’ai pu le supposer je me suis empressée de t’offrir le seul remède qui soit en mon pouvoir : l’éloignement. Si j’en connaissais un plus réel et plus honnête je te l’offrirais avec la même sincérité d’âme et le même dévouement généreux de cœur. Jusqu’à présent, mon beaucoup trop aimé petit homme, tu t’y es refusé, beaucoup par pitié un peu par un reste d’habitude ; mais ces deux raisons suffisamment fortes pour te retenir à moi pendant un temps plus ou moins long sont précisément celles qui me poussent invinciblement à te fuir. Pourquoi ? Je te l’ai déjà dit pour éviter que tu en viennes à me détester, malheur dont la seule pensée me rend folle et me porterait à tous les excès de désespoir. Aussi, mon Victor, c’est du profond de mon cœur et avec ce que j’ai de plus tendre et de plus saint dans l’âme que je te supplie de ne pas refuser ce dernier sacrifice avant que ton amour n’ait disparu tout à fait sous le flot d’ennui et de lassitude qui monte plus haut de jour en jour tandis qu’il laisse le mien plus à découvert que jamais. Penses-y mon bien-aimé et ne te fais pas un devoir de ce que fut autrefois notre bonheur. J’ai besoin de me sentir mourir sous ta bénédiction. Joins tes efforts aux miens pour que j’aie enfin cette suprême joie pour l’éternité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 273-274
Transcription de Bénédicte Duthion assistée Florence Naugrette


Jersey, 2 septembre 1852, jeudi soir, 8 h. ½

J’allais brûler un de mes deux gribouillis mais j’ai pensé que je ne devais pas me soustraire à l’humiliante punition de te le montrer dans l’espoir que cela me corrigera une fois pour toutes de cette stupide manie d’écrire toutes les tristes folies qui me passent par la tête. De ton côté, mon cher petit homme, il serait pas mal que tu ne le lises pas du tout. Je t’en serais vraiment très reconnaissante. Sans perdre pour cela le fruit de la leçon que ma raison fait à ma folle jalousie. Quand je pense à tout ce que je t’ai dit de violent, d’amer et d’injuste, j’en suis confuse et affligée jusque dans le fond de l’âme. Ce serait même à me faire perdre tout courage et toute confiance si nous n’avions pas fait la paix d’une manière si triomphante et si charmante tantôt. Maintenant mon Victor que tout est oublié et pardonné que la confiance et la joie ont pris la place de la jalousie et du désespoir, je vais m’appliquer à être la meilleure des Juju.

BnF, Mss, NAF 16371, f. 275-276
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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