Paris, 8 mars [18]72, vendredi matin, 10 h. ½
Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour, et bonne nuit aussi, je l’espère, pour toi comme pour moi ? J’envoie Suzanne te porter ton déjeuner avec ordre de me rapporter de bonnes nouvelles de toi et de tes chers petits. Je la charge en outre de te demander si tu as des invités pour ce soir. Je me réserve de te remercier moi-même tantôt de ton beau cadeau. Ce dessin de J. Laurens est superbe dans sa tranquillité mélancolique et dans sa simplicité grandiose [1]. Le petit Gilliatta vu de dos produit une impression profonde en rappelant à ceux qui le connaissent son long martyr et son héroïque et sublime dévouement méconnu. Je serai bien contente quand tu l’accrocheras à mon mur, ce maître dessin d’un maître. En attendant je le garde précieusement à l’abri de toutes les mauvaises chances qui pourraient le menacer en liberté. Je viens de lire la lettre du citoyen Claretie qui me paraît un peu trouble malgré son apparente franchise. Il est vrai que lorsqu’il s’agit de toi je suis peut-être un peu difficile et exigeante. Quoi qu’il en soit, je persiste à trouver que la prose de Claretie manque de clarté et je n’apporte ma tête pour cette hardiesse d’opinion, je la garde pour une meilleure occasion. Sursum cordab. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 67
Transcription de Guy Rosa
a) « Gilliat ».
b) « corde ».