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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 décembre [1841], vendredi soir, 11 h.

Je n’ai pas encore copié, mon Toto, mais je vais m’y mettre dès que j’aurai fini ce gribouillis. Je suis bien heureuse que votre petit travail de ce soir m’ait donné l’occasion de connaître un fragment des plus admirables de votre admirable livre. C’est cette scélérate de Didine qui m’avait frustéea pour bien dire de mon droit et de mon bien [1]. Je comptais reprendre donc, les volumes imprimés, mon bien où la scélérate l’avait laissé et voilà qu’il me faut attendre encore un mois presque. Quelle horreur !!! Cependant, j’aime mieux attendre que de savoir que vous perdez de l’argent. J’espère que voilà de la raison ou je ne m’y connais pas, cependant il ne faut pas me faire attendre trop longtemps ni le plaisir ni le bonheur car alors, je deviens non pas impatiente mais ENRAGÉE. C’est ce qui m’arrive tous les jours à force de vous désirer et de vous attendre. Dépêchez-vous donc de faire paraître votre livre et de venir me baiser sur toutes les coutures.
J’ai un mal de tête absurde et qui tourne à la migraine dans ce moment-ci, mais c’est égal, je vais copire avec fureur. Jacquot est venu sur mon bras parce que je n’ai pas osé lui donner mon doigt, mais il est probable qu’il y serait venu la même chose SANS MORDRE grâce à la boustifaille qu’il voyait sur la table. Depuis, il est très doux mais il est vrai que je ne lui parle pas et qu’il est derrière mon fauteuil, deux bons motifs pour ne pas exciter sa colère [2].
Hélas ! oui, mon bon Toto, j’ai eu la stupidité de casser mon joli vase en faïence et sans savoir comment [3]. Je suis bien maladroite et bien malheureuse et je me donnerais des grands coups si cela pouvait raccommoderb mon pot et me rendre plus adroite. Je ne me consolerai de mon malheur que le jour où je lirai une bonne petite lettre de vous, c’est-à-dire dans vingt-[et]-un jours [4]. C’est bien long et je pourrais bien mourirc d’ici là, ce dont je suis très vexée et qui me forcerait à REVENIR vous tirer par le NEZ pour me donner mes étrennes. En attendant, dépêchez-vous de faire votre pièce [5] car j’ai véritablement besoin de beaucoup d’exercice et que depuis un an je n’en ai pas pris du tout. J’espère que votre pièce finie, vous n’aurez plus de raison pour ne pas me faire marcher un peu. D’ici là, je souffre de ma tête et de mon cœur comme je peux et plus que je ne peux et je vous aime avec un courage et une constance dignesd d’un meilleur sort. Baisez-moi comme vous m’aimez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 197-198
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « frusté ».
b) « racommoder ».
c) « mourrir ».
d) « digne ».

Notes

[1Hugo vient tout juste de terminer la rédaction des lettres, de la Conclusion et de la Préface du Rhin qu’il vient de remettre à ses imprimeurs pour une parution en deux volumes début 1842. D’ordinaire, Juliette recopie les manuscrits du poète et elle est dans cette tâche souvent en concurrence avec Léopoldine Hugo.

[2Voir les lettres du 3 et 4 décembre 1841 : Jacquot a attaqué Juliette a plusieurs reprises et elle a donc dû le punir.

[3Juliette a cassé le mercredi précédent un vase du Japon, récent cadeau de Hugo.

[4À l’occasion de la nouvelle année, Hugo écrit systématiquement à Juliette une lettre qu’elle range précieusement dans le Livre rouge. Elle aime ainsi faire le décompte des jours qui la séparent des cadeaux qu’elle attend de lui.

[5Hugo s’est engagé le 26 novembre à livrer à Buloz son prochain drame, Les Burgraves, pour février 1842.

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