Paris, 22 déc[embre] [18]79, lundi soir, 4 h. ½
Encore distancée dans ma douce habitude, mon cher petit homme ; heureusement que ce qui est différé par les occupations du ménage n’est pas perdu pour le cœur car je t’aime d’autant plus que j’ai plus attendu à te le dire. De plus je me promets une grande joie de notre petite partie carrée ce soir entre toi et Jeanne et entre Georges et moi, ce sera charmant ! J’aurais voulu fêter ces chers petits en mettant les petits plats dans les grands mais nous habitons un quartier peu propice aux débauchesa gastronomiquesb et friandesc, aussi il faudra nous contenter de l’ORDINAIRE (excusez du peu) ! Et à ce propos je te demande si ta fin d’année étant plus surchargée encore que de coutume il te convenait de donner des étrennes à mes petits Koch ? Tu peux me répondre franchement sans aucune contrainte parce que déjà d’avance je suis prête à faire simplement et sans observation ce que tu décideras à ce sujet.
Je me suis aperçued trop tard que je prenais mon papier sense devant dimanche [1] mais qu’est-ce que cela peut faire puisque je t’aime dans tous les sens ? Au-dedans, au dehors, en long, en large, et en travers. Par quelque bout que je me prenne, je trouve un amour infini comme l’éternité. J’attends une lampe qui ne vient pas pendant que le brouillard s’épaissit de plus en plus et que mes yeux s’obscurcissent jusqu’à n’y plus voir même la place où je mets mon cœur et mon âme dans ce seul mot : je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 311
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « débauche ».
b) « gastronomique ».
c) « friande ».
d) « aperçu ».
e) « sens ».