Paris, 13 déc[embre] [18]79, samedi matin
Il paraît, mon pauvre grand bien-aimé, que ta nuit a encore été agitée et ton sommeil presque nul ? Cette pensée n’est pas faite pour me consoler de mon insomnie, bien loin de là. Aussi, mon cher petit homme, ce n’est pas pour t’inspirer aucune pitié dont je n’ai nula besoin, d’ailleurs, puisque ce n’est qu’une souffrance prévue et de saison, mais je ne crois pas que je puisse aller au Sénat aujourd’hui à cause de ma tousserie incessante et de mon grelottement irréchauffable. Je voudrais tâcher de ne pas m’aliter ce soir, c’est pourquoi je resterai à cuire mon rhume auprès du feu toute la journée.
La séance publique n’a lieu qu’à quatre heures et le sommaire n’indique que l’interpellation de Waddingtonb à Jules Ferry. Tu verras dans le compte-rendu analytique de la séance d’hier de quoi il s’agira aujourd’hui. Je crois que tu ne peux pas te dispenser d’y assister mais il faut que je sois bien endolorie pour ne pas t’y accompagner. Ma soixante-treizième année me pèse de plus en plus et je crois bien que je serai forcée de la quitter avant sa dernière étape. Ça ne sera pas sans regret car mon vœu le plus ardent, le plus cher et le plus religieux était de finir en même temps que toi, mais il paraît que Dieu ne le veut pas et je me soumets.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 303
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « nulle ».
b) « Wadington ».