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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er avril 1839

1er avril [1839], lundi, 10 h. du matin

Bonjour, mon pauvre petit bien-aimé, bonjour, tu n’es pas venu me soigner, tu as eu peur qu’une vieille patraque comme moi te restât dans les mains ? C’est qu’en effet je suis bien peu solide. Je ne sais pas ce que cela deviendra mais je me sens bien malade depuis plusieurs jours. Je voudrais que la journée d’aujourd’hui fût passée pour pouvoir me mettre au lit tout à fait. Je t’écris tout de suite une grosse lettre dans la crainte d’en être empêchée tantôt par tous ces goistapioux. Claire n’est pas encore arrivée. Je suppose qu’elle ne tardera pas à présent. Je vais me lever aussitôt ta lettre écrite, ce qui n’est pas une petite affaire pour moi car je souffre beaucoup et je crains de ne pouvoir pas me tenir, il faut que ce soit bien fort pour me faire abandonner la partie, car le courage ne me manque pas facilement.
Je donnerai les deux vieilles chaussures à Lanvin ce matin. J’espère qu’il sera content. Si je te voyais et si nous devions passer la journée ensemble je lea serai aussi moi, contente, et peut-être même GUÉRIE mais c’est tout le contraire et je suis triste et mouzon. Il fait pourtant bien beau, cela donnerait envie à un mort d’aller se promener, à plus forte raison à une pauvre vieille amoureuse comme moi qui n’ai d’air, de soleil, de vie et de joie que dans mon amour. Papa est bien i, surtout quand il mange de la merde en papilloteb comme hier ! Mais quelques personnesc prétendent même qu’il est atteint de GIBBOSITÉ. Il y avait longtemps que je n’avais ri d’aussi bon cœur, c’est peut-être ce qui m’a rendue plus malade mais je ne le regrette pas, car une pareille littérature ne serait pas encore assez payéed de la vie. Je vous aime, mon Toto. Je vous aime de toute mon âme, n’oubliez pas ça et regrettez-moi quand je serai couchée dans la fosse commune, car vous aurez perdu un amour bien ardent et bien sincère. En attendant que ceci se réalise, je vais me parer du ravissant bijou que vous m’avez donné ou plutôt que nous avons arraché à la trop grande généreuse confiance de Dédé. Je suis sûre que tout le monde poussera des cris d’admiration. Rien que d’y penser, je me sens toute gaillarde et prête à sauter hors de mon lit. Cette bonne vierge du pilier [1] me devrait bien le miracle d’une guérison radicale et spontanée car je l’admire et je l’aimee de tout mon cœur… après vous. Vous êtes encore plus beau et plus ravissant qu’elle et je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 1-2
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « la ».
b) « papillotte ».
c) « quelque personne ».
d) « payé ».
e) « ’aime ».

Notes

[1Dans Hernani, à l’Acte III, scène 3, Hernani déguisé en pèlerin dit à don Ruy Gomez qu’il se rend à Saragosse pour honorer Notre Dame del Pilar.

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