29 novembre [1841], lundi, midi ½
Bonjour, monsieur Toto, comment vous portez-vous ? C’est à quoi se borne ma rédaction aujourd’hui car, après l’intérêt que je porte à votre santé, le reste est censéa m’être tout à fait égal, étranger et indifférent si j’en juge d’après votre conduite envers moi. Je vous dirai donc, pour ne pas entrer dans les détails de votre VIE MURÉE, que j’ai donc donné audience à ma blanchisseuse, ce qui est cause que je vous écris si tard, et enfin que j’ai donné la liberté à Jacquot qui en use modérément à cause de la grande contemplation des mouches à laquelleb il se livre avec une persévérance et un sérieux des plus comiques [1].
J’ai bien de la peine à remplir mes pages blanches et je voudrais bien qu’un cousin quelconque me demande la plume, non pas jusqu’à QUATRE HEURES, mais jusqu’à la fin de cette feuille [2]. Je ne sais vraiment pas de quoi couvrir ce papier blanc, à moins d’y renverser l’encrier dessus, ce qui serait un moyen ingénieux de mettre du noir sur du blanc sans se compromettre et avec la certitude de n’offenser personne. Je pourrais bien encore vous demander des nouvelles de GIPON et de son auguste famille, mais c’est déjà entrer dans les affections de la famille [3]. Enfin, je pense à tout événement vous faire mon compliment sur votre réception à l’Académie française et sur la magnificence de votre habit de perroquet [4], en ajoutant toutefois que votre RAMAGE ne ressemblait pas à votre PLUMAGE [5]. Maintenant permettez-moi, monsieur Toto, de me dire votre très humble, très soumise, très obéissante et très embêtée servante.
Juju
BnF, Mss, NAF 16347, f. 157-158
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « sensé ».
b) « auquel ».
29 novembre [1841], lundi soir, 7 h. ½
Vous êtes bien heureux que votre cher petit sosie soit venu demander votre grâce car j’étais joliment furieuse contre vous. Mais la présence de ce charmant petit buste dans ma maison m’ôte toute ma colère et je n’ai plus que de la joie et de l’amour dans le cœur [6]. Vous êtes cependant toujours plus beau que lui mais il n’y a que moi ou le bon Dieu qui pourrionsa faire votre cher petit portrait parfaitement ressemblant et ravissant comme dans la nature. Mon Dieu, que je vous aime, mon Victor, vous ne le saurez jamais assez, jamais autant que la vérité. Je t’aime à faire mille folies comme la Chantefleurie avec sa petite fille [7]. Ce que j’ai d’ineffable, de violent et de doux dans le cœur pour toi est inexprimable dans la langue humaine.
Pauvre enfant bien-aimé, tu travailles toujours sans te plaindre et moi je grogne contre ton absence comme si c’était ta faute. Je suis bien méchante, n’est-ce pas, mon Toto ? N’est-ce pas que l’amour rend bien méchant [8] ? Si je ne t’aimais pas ou si je t’aimais moins, ce qui est la même chose pour moi, je serais bien gentille, bien patiente et bien douce. C’est à toi de voir ce que tu préfères, quant à moi je sais bien que je choisirais les coups et l’amour, que l’indifférence et l’amabilité. Voilà mon opinion politique et littéraire. Tâche, mon adoré, de compléter mon bonheur en venant bien vite auprès de moi. J’ai beau baiser et embrasser l’autre Toto, il ne me le rend pas.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 159-160
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « pourrait ».