25 novembre [1841], jeudi, midi ½
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour. Je t’aime et vous, m’aimez-vous ? Maintenant que vous avez fini, est-ce que vous ne viendrez pas plus tôta, plus souvent et plus longtemps [1] ? Songez, mon pauvre Toto, que j’ai mis toute ma joie, toute ma vie et tout mon bonheur en vous et que je voudrais bien en reprendre une petite goutte de temps en temps. Où en est Manzelle Didine de sa copie [2] ? Si vous n’aviez pas été si impatient, j’aurais pu tout copier aujourd’hui et me faire du bonheur mais vous n’avez aucun égard pour moi, vous êtes un monstre. Et à ce propos, je vous dirai que l’autre monstre vert est enfermé dans sa cage et qu’il n’en sortira qu’après avoir mis les pouces, c’est-à-dire les griffes et fait beaucoup de platitudes [3]. J’ai bien assez d’un tyran féroce, je ne veux pas en avoir deux.
On dit qu’il pleut. Je n’en sais rien mais ce que je sais, c’est que je suis abrutie par le mal de tête et que je n’y vois pas clair. Depuis le matin avant le jour, les gens d’au-dessus de moi déménagent et font un bruit en conséquence, ce qui ne m’a pas beaucoup guérieb ni amuséec. Enfin, je suis grognon et grognarde ce matin. Je souffre et je voudrais mordre une joue que je sais bien mais qui se tient à distance de la rue et en attente à la Place Royale [4]. Enfin, je suis une très pauvre et très ennuyeused Juju, voilà le fait et si vous ne venez pas me remonter un peu, je suis capable de me pendre avant la fin de la journée.
Jour mon petit Toto, je vous aime. Pensez à moi, venez à moi et aimez-moi et je serai très bonne, très aimable, et très heureuse. En attendant, je vous désire, je vous attends et je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 143-144
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « plutôt ».
b) « guéri ».
c) « amusé ».
d) « ennuieuse ».
25 novembre [1841], jeudi soir, 5 h. ¾
J’ai eu la visite de mademoiselle Hureau tantôt, mon bien-aimé. Elle m’a donné des nouvelles de Claire dont elle est contente et une explication sur son sermona de l’autre jour, dont je me suis contentéeb aussi pour ne pas être trop exigeante en une seule fois. Elle m’a en outre demandé ta protection pour son beau-frère employé à la poste, avec une note explicative de ses antécédents et des droits à la protection et à l’avancement.
6 h. ½
Je finis ma lettre, mon adoré, en te disant que je t’aime et que Manzelle Didine est bien heureuse. L’espoir que tu me donnes est bien charmant mais il ne se réalisera pas, j’en suis bien sûre. Si l’avare ACHÉRON ne lâche pas sa proie [5], la célèbre poupée non plus et une fois le dessin entre ses griffes, rien ne pourra le lui arracher, j’en ai bien peur au moins.
Comment, mon pauvre Toto, nous ne ferons pas la moindre petite débauche, la plus mince orgie, la plus exiguë des culottes ? En vérité, ce n’est guère la peine de vivre et pour moins que rien, je vendrais ma vie au diable. Mais j’espère que tu n’auras pas le féroce courage de recommencer un autre travail avant de nous avoir donné une pauvre petite soirée de loisir et de bonheur ? Pensez donc, mon cher petit homme, à la triste vie que je mène quand vous travaillez comme vous le faites depuis un mois et donnez-moi du courage en me donnant un peu de bonheur. Je t’aime, mon adoré, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 145-146
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « sermont ».
b) « contenté ».