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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 septembre [1841], samedi matin, 8 h. ¾

C’est vraiment bien spirituel de vous en aller sans dire mot et de nous [1] laisser vous attendre jusqu’à une heure du matin. Voime, voime, fort spirituel, fort économique et fort réjouissant. Vous avez bien choisi votre temps. Encore si on donnait Ruy Blas, ce ne serait que fort lucratif mais de l’affreuse pluie sans argent, c’est désolant [2].
J’espère que vous n’aurez pas le front de rester jusqu’à demain soir à la campagne [3] ? Je suis capable d’aller vous y chercher d’abord ; je finis par M’ENNUYERa HORRIBLEMENT ICI [4]. J’ai de la baraque par-dessus la tête. Ordinairement nous sommes en liberté à cette époque-ci et je ne peux pas m’habituer à rester en prison quand j’ai le droit d’être partout ailleurs où on respire, où on est heureux, où on aime son Toto et on ne le quitte pas [5]. Je finis par avoir en horreur cette horrible petite cage dans laquelle je vis comme une petite serine aussi bêtement et avec autant de bonheur. Je veux prendre ma volée ou vous en donner une dont vous vous souviendrez toute votre vie. Tenez-vous pour avertib et n’ayez pas la férocité de vous faire désirer jusqu’à demain. Je vous aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 197-198
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuier ».
b) « avertis ».


4 septembre [1841], samedi soir, 5 h. ½

Je tremble que vous n’ayez l’atrocité de vouloir rester à la campagne jusqu’à dimanche soir, cette pensée me tourmente plus que je n’ose vous le dire pour ne pas vous donner une fatuité incommensurable. J’ai en vous attendant fait ruisseler des torrents de cheveux sur mes épaules mais j’ai grand peur que vous n’en profitiez pas, car les voilà déjà défrisés et je doute fort que j’aie le courage de recommencer demain.
Mon Dieu, mon Dieu, que je vous aime mon Toto bien-aimé, tous les jours plus, jamais moins. Je voudrais baiser tes pieds adorés, je voudrais mourir pour toi. Ô mon Toto, tâche de revenir ce soir, je t’en prie à genoux. Si tu savais combien je suis triste, désœuvréea et découragée quand tu n’es pas avec moi, tu aurais pitié de ta pauvre Juju et tu reviendrais ce soir à toutes jambesb. La Clairette aussi trouve le temps long de ne pas voir M. Toto, qui la fait enrager et qui dit tant de BÊTISES !!! Tu vois bien que tu ne peux pas rester plus longtemps sans venir. Embrasse pour moi mes chers petits goistapioux sur toutes les coutures. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 199-200
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « déseuvrée ».
b) « toute jambe ».

Notes

[1Claire, la fille de Juliette, pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé, passe souvent les fins de semaine chez sa mère.

[2Ruy Blas a été repris à la Porte-Saint-Martin le mercredi précédent, le 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt. Ce sera un succès et Juliette a assisté à cette première représentation. Depuis, elle ne cesse d’espérer que le temps sera « au laid fixe » pour favoriser l’afflux de spectateurs.

[3Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin.

[4Citation de Don César dans Ruy Blas, acte IV, scène II : « Ah ça ! mais – je m’ennuie horriblement ici ».

[5Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. Mais en 1841, leur voyage annuel n’aura pas lieu.

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