26 juin [1841], samedi matin, 10 h. ¼
Bonjour mon Toto bien-aimé. Pourquoi n’es-tu pas revenu ce matin ? Pourtant tu te reposes toujours un peu, alors pourquoi ne pas accorder la préférence à mon lit sur le tien ? À ma côtelettea sur la tienne ? À mon amour toujours plus vif et plus tendre aux billevesées plus ou moins insignifiantes des visiteurs ? Voici encore une journée bien triste pour moi car je ne te verrai que ce soir et Dieu sait à quelle heure. Je tâcherai de ne pas te montrer ma tristesse quand tu viendras car je sais que cela te contrarie et t’ennuie.
Quel affreux temps, mon amour, aussi froid et aussi noir que dans le mois de décembre, et nous sommes dans les plus longs jours de l’année ! Ceci me serait tout à fait égal si nous étions ensemble dans quelque coin d’auberge [1] mais toute seule chez moi cela m’est odieux. Bonjour, mon Toto chéri, je t’aime. Bonjour mon Toto, bonjour monsieur le chancelier [2], bonjour académicien, bonjour Picardet [3], bonjour vous, bonjour toi. Tâchez de ne pas venir trop tard scélérat, tâchez aussi de ne pas vous enrhumer de ce temps féroce. Je vous aime, aimez-moi s’il vous plaît ou je vous f…b desc coups.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 289-290
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « côtellette ».
b) Il y a trois points de suspension.
c) « de ».
26 juin [1841], samedi soir, 9 h.
Pas encore venu, mon adoré, et je te désire et je compte les secondes, les minutes, les heures dont chacune me semble un siècle. Vraiment le bon Dieu devrait m’ôter un peu de mon amour pour en ajouter au tien, je n’en serais pas plus pauvre et peut-être trouverais-tu moyen avec ce petit surcroît d’amour de venir me voir un peu plus d’une heure par jour. Je suis triste, mon adoré, et je t’aime trop.
Voici décidément l’hiver revenu, j’ai repris de nouveau ma robe de chambre doublée ; le respect humain et du mois de juin empêche seul de faire du feu plein ta cheminée mais on l’endureraita bien. Quel absurde temps. Donne-t-on Hernani ce soir [4] ? Probablement. Tant mieux, quoique je ne doive pas le voir ni l’applaudir. Au reste je ne m’informe des représentations que dans l’intérêt public car pour le mien il est supprimé pour cause de je ne sais pas quoi mais qui m’empêchera de demander jamais à aller à vos représentations quand on les donnera. Encore une joie interdite, quand je serai à la dernière tu feras une +b. En attendant je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 291-292
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « endurait ».
b) Dessin d’une croix.