23 juin [1841], mercredi matin, 10 h. ½
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour vous, bonjour toi, bonjour tout ce que j’admire et tout ce que j’aime le plus au monde. Bonjour, je t’aime.
Vous n’étiez pas très i, cette nuit, à tout ce que je vous disais vous répondiez par un grognement hideux. On auraita dit que vous aviez marché sur Louis-Philippe. Je vous pardonne en souvenir de votre aimable caractère d’autrefois avec l’espoir que vous serez ravissant ce soir. Pourquoi n’êtes-vous pas revenu ce matin, mon Toto ? Vous savez que je prends médecine la nuit prochaine [1], ce qui ne vous empêche pas de venir mais ce qui peut empêcher autre chose. Ia, ia monsire matame, ça il est la BLACE DES CHATSMOINES [2].
J’ai toujours mal à la tête, mon petit homme, et je n’ose pas compter sur toi pour me faire marcher un peu ce soir. J’aurais voulu aussi aller voir mon père [3] mais tu es si occupé que de te parler seulement de ces choses-là te met en fureur. Je me tais, je souffre et je MURMURE, ne fût-ceb que pour ne pas faire comme l’héroïque personnage du verdâtre Scribe [4]. Je vous aime, je vous désire, je vous attends et je vous aime, voilà mon cercle bien fermé. Tâchez de l’ouvrir en venant bien vite m’embrasser.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 257-276
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « n’aurait ».
b) « ne fusse ».
23 juin [1841], mercredi soir, 6 h. ½
Vous ne voulez donc plus me conduire jamais à Hernani, mon amour [5]. C’est cependant la seule chance pour moi de passer quelques heures avec vous et d’entendre les plus beaux VERS du monde. Enfin puisque vous ne le voulez pas, mon adoré, je me résigne comme je peux et je ne vous en aime pas l’épaisseur d’un de vos fins cheveux de moins. Je suis fâchée que vous m’ayez retranché aussi le souper, c’est encore autant de bonheur de moins pris sur ma maigre pitance. Enfin, que votre volonté soit faite mais aimez-moi.
Le sort en est jeté, je viens de verser l’eau bouillante sur mon affreuse drogue. Cette nuit la première tasse, demain matin la seconde et puis vive la joie, les coliques et tout ce qui s’ensuit. Que cela ne vous empêche pas de venir, au contraire. D’ailleurs il est utile que vous étudiieza d’après nature les effets de ce remède ravissant que vous devez expérimenter plus tard [6]. En attendant il fait un temps de chien et un froid de loup. Je voudrais bien savoir si vous avez vos beuttes car vous risquez gros jeu et gros rhume avec vos brodequins à œil de bœuf [7].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 277-278
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « étudiez ».