5 mai [1841], mercredi soir, 4 h. ¼
Vous êtes mon cher bien-aimé que j’aime et que j’adore. Seulement vous êtes un vieux Chinois [1] de ne venir toujours qu’au moment où je suis imprenable comme un autre Gibraltar [2]. Certainement il est bon que vous veniez aussi dans ces moments-là mais ce serait à la condition de ne pas vous éclipser dans les autres où je suis bonne à MARIER. Taisez-vous, je vous dis que vous êtes un vieux Chinois de paravent. À propos vosa cure-dents coûtent quatre sous et non pas trois comme vous le prétendez. Je vous préviens qu’il me sera difficile pour ne pas dire impossible de subvenir à tous ces nouveaux frais que vous ajoutez de jour en jour sur mon livre de dépense. Mes REVENUS n’y suffiraient pas, ia, ia, monsire. En attendant je voudrais bien que la mère Lanvin m’apporte les picaillons [3] en question, cela me ferait plaisir dans ce moment-ci, vu l’état d’étisieb dans lequel se trouventc mes finances.
Je voudrais bien en outre pouvoir tirer, moyennant rançon, la fameuse prière enluminée et historiée des griffes de la belle poupée [4], mais je crois que je n’y parviendrai pas. D’ailleurs, vous n’y mettez pas du tout du vôtre et ce qui fait que je n’aurai pas ma pauvre petite prière que j’aime tant. Vous êtes un monstre, Didine une avare et moi et Dédé les plus malheureuses des femmes. Tirez-vous de là si vous pouvez et osez prouver le contraire. Et dire que je ne peux pas m’empêcher de vous aimer comme une enragée, voilà ce qui me vexe. Je suis furieuse contre vous. Tiens, voici la pauvre mère Lanvin toute essoufflée, je te baise sur toutes tes coutures et sur tous tes chers petits membres sans en excepter UN SEUL.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 125-126
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « vous ».
b) « éthisie ».
c) « trouve ».