11 juin [1841], vendredi matin, 10 h. ¼
Bonjour mon Toto, bonjour mon cher petit bien-aimé. Vous ne m’avez pas tenu parole cette nuit, mon cher petit homme, et de plus vous avez oublié ma lettre. Je ne vous en veux pas, je vous aime mais je suis triste.
Comment vas-tu ce matin, mon cher petit Toto ? Tu paraissais fatigué et découragé cette nuit, mon pauvre bien-aimé, et vraiment il y a de quoi : ce travail sans fin, ce tonneau des Danaïdes qui se vide au fur et à mesurea que tu l’emplis, tout cela doit t’épuiser et te faire perdre courage. Il y a longtemps que je l’avais deviné. Pauvre bien-aimé, je suis toute prête à faire ce qu’il faut pour te soulager en portant ma part de ce fardeau que tu as si généreusement pris à toi tout seul. S’il faut vivre dans une chambre sous les toits et n’avoir aucun état de maison et vivre avec 10 sous par jour, je le ferai de grand cœur. Je ne tiens ni à la chambre dorée ni à toutes les aises de la vie pourvu que je t’aie, que tu m’aimes et que tu ne te tuesb pas pour moi. Je voudrais pouvoir faire plus mais je ne suis d’aucune ressource. La seule que j’aie jamais euec tu me l’as ôtée ; je ne m’en plains pas mais je prévois que d’ici à très peu de temps elle nous fera bien faute à tous les deux.
Je t’aime mon Victor, je t’adore mon petit homme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 241-242
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « au fure à mesure ».
b) « tue ».
c) « eu ».
11 juin [1841], vendredi soir, 8 h. ½
Vous serez donc bien heureux, mon amour, le jour où je ne serai plus jalouse ? Le jour où toutes les novices et toutes les professes de profession vous feront des déclarations d’amour sans que je m’en émeuve le moins du monde ? Eh ! bien mon amour, ça n’est peut-être pas impossible, en m’y appliquant bien il n’est pas dit que je n’y parviendrai pas. En attendant, soyez assez bon pour marcher droit et pour ne tourner la tête ni à gauche ni à droite dans le chemin de la bagatelle et de la toupinasserie [1] si vous tenez à votre nez et à vos oreilles et à bien autre chose encore. Je ne suis pas encore en humeur de ne pas vous aimer atrocement, ainsi prenez-en votre parti et évitez les séductions si vous ne voulez pas que je vous fiche plus de coups que vous n’avez de cheveux sur la tête. Sur ce baisez-moi et tâchez de ne pas me laisser rognonner [2] toute seule toute la soirée à vous attendre. Je ne suis déjà pas si contente de vous et vous n’avez rien de mieux à faire que de venir chercher le pardon de tous vos trimes. Baisez-moi scélérat, je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 243-244
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette